La Nébuleuse d'Andromède

Si l'âge d'or de la SF telle qu'on la connaît de nos jours est, sans conteste, lié au contexte sociopolitique des Etats-Unis des années 30 à 50, on ne devrait pas négliger pour autant l'apport d'autres pays et d'autres époques. Voire même, disons-le sans fard : d'autres cultures. Ivan Efremov est un homme de sciences (paléontologue et géologue) soviétique. Il a écrit un certain nombre de romans de fiction dont une partie constitue un "cycle" où il esquisse - comme l'ont fait Isaac Asimov mais aussi Robert Heinlein - une "Histoire du Futur". Décédé au milieu des années 1970, il n'a pas connu les moments finaux de l'Univon Soviétique et sa littérature, par conséquent, constitue un véritable témoignage de l'état d'esprit des auteurs populaires de l'Est dans les années 1960. La Nébuleuse d'Andromède, paru en 1957, est l'ouverture de ce "cycle".
Résumé :
Dans un passé indéterminé, la faillite terminale du capitalisme a déclenché la phase finale d'un âge de ténèbres. Dans les décombres du désastre écologique, la civilisation a dû s'orienter vers l'ultime recours, à savoir, l'instauration d'une société communiste. Quelques siècles, ou millénaires plus tard, la Terre est à nouveau habitable et l'être humain a connu, enfin, une évolution intellectuelle et psychologique permettant de dire que l'espèce humaine est désormais adulte. Une société des loisirs est née, où les biens et le travail sont partagés sans discrimination. L'exploration spatiale et la science constituent l'un des principaux centres d'intérêt : depuis quelques siècles, la Terre fait en effet partie du Grand Anneau, un réseau de communications interstellaires établi entre différentes espèces intelligentes qui échangent ainsi leurs découvertes scientifiques. Certains êtres humains, les plus aventureux, montent à bord des vaisseaux que la Terre envoie vers les étoiles, dans des expéditions vers des mondes lointains et magnifiques. La dernière expédition en date est celle de la Tantra, dont l'équipage sait que tous les vaisseaux ne rentrent pas sur Terre : le souvenir de l'expédition vers Véga, celle de la Voile, perdue sur le chemin du retour, est dans toutes les mémoires. La Tantra ne va pourtant pas si loin : elle est chargée d'établir la première ambassade humaine sur la planète Zirda, l'une des voisines les plus proches de la Terre parmi les civilisations amies du Grand Anneau... Pendant ce temps, sur Terre, les spécialistes décryptent un message venu de l'espace depuis une nouvelle civilisation extraterrestre : ces êtres partagent avec l'espèce humaine une proximité si forte que les émotions charriées par leurs messages sont intelligibles... Mais ils sont loin, trop loin pour être encore accessibles par les vaisseaux de la Terre. Plus que jamais, le public attend la venue de l'ère des mouvements instantanés dans l'espace, qui ouvrira pour de bon la porte des étoiles à l'espèce humaine. Mais l'espace, la Terre et même l'âme humaine recèlent des dangers méconnus - dont certains, peut-être, viennent des âges barbares de l'Humanité...
L'ambition d'Ivan Efremov est de décrire une société communiste compréhensible et convaincante. L'histoire racontée se divise un peu en deux fils narratifs différents : d'une part, les péripéties de l'équipage de la Tantra (parce que tout ne va pas se passer comme prévu) en particulier lorsque leur vaisseau se trouve en perdition dans un système stellaire "noir" ; et d'autre part, la quête philosophique et scientifique vers la compréhension de civilisations très différentes (extraterrestres, bien sûr, mais aussi celles du passé perdu de l'espèce humaine).

L'oeuvre n'a pourtant rien d'un hymne de propagande pour le système soviétique de la fin des années 1950. La critique n'est alors pas encore possible mais, à mots couverts, l'auteur énonce sa pensée avec clarté : l'Union Soviétique n'est pas l'embryon de la société communiste des temps futurs. Elle n'en est pas même une préfiguration. Ivan Efremov écrit en effet que les quelques sociétés non-capitalistes apparues pendant les années de chaos furent elles aussi emportées par l'Histoire. En d'autres termes, il signifie son désaccord avec l'ère stalinienne et la période de critiques plus ou moins convaincues qui l'ont suivie. Car Ivan Efremov est un humaniste, et La Nébuleuse d'Andromède est une oeuvre positiviste ! Le futur lui apparaît bouché, mais après le futur immédiat viennent les lendemains qui chantent. Lecteur de Jules Verne, amateur d'histoires d'explorateurs, Ivan Efremov est somme toute optimiste quant à l'avenir lointain. Dans son univers, et pour ses personnages, la solution de l'énigme est en réalité moins importante que la résolution de l'énigme - car dans la recherche de la résolution, l'être humain progresse lui-même... A ce titre, la fin du livre peut apparaître frustrante - car on ne saura presque rien du mystérieux vaisseau découvert sur la planète noire... sinon qu'il vient sans doute de la nébuleuse d'Andromède - alors qu'en fait, elle incite à entrer dans l'état d'esprit des êtres du futur dont nous avons lu les aventures.

Les deux suites de La Nébuleuse d'Andromède, à savoir une nouvelle (Cor Serpentis, ou La Flamme au Coeur du Serpent pour le titre français) et un roman (L'Heure du Taureau) sont pour ainsi dire introuvables en France et j'ai eu quelques difficultés à trouver un texte anglais pour le premier ainsi qu'un exemplaire de la seule édition française du deuxième. C'est un scandale que les oeuvres d'un auteur aussi important (La Nébuleuse d'Andromède a rencontré un succès critique et populaire considérable en Union Soviétique) soient si peu disponibles en français. J'escompte bien, après avoir relu Cor Serpentis et m'être remis à L'Heure du Taureau, apporter ma brique dans l'édifice de la redécouverte d'Ivan Efremov. Slava Efremovou !Share/Bookmarkhttp://www.wikio.fr Voter !

Commentaires

stephane a dit…
Très intéressante critique qui donne envie de lire cet ouvrage !
Dans le genre critique de l'union soviétique, il y a aussi Soljenitsyne, mais ce n'est pas de la science-fiction !
Anudar a dit…
Bienvenue ici :) !
A ma connaissance, et d'une façon assez paradoxale, Soljenitsyne n'était pas tant critique de l'Union Soviétique que du communisme, au sens où il n'a jamais fait mystère de son goût pour un pouvoir central fort. Il aurait voulu, par exemple, le retour de la monarchie en Russie en 1991. Il a beaucoup apprécié l'oeuvre de Poutine (alors que celui-ci est un ancien guébiste...). Il a pu dire "la Russie a mal à l'Ukraine", faisant référence à l'indépendance de ce pays qui a presque toujours été contrôlé par la Russie tsariste puis soviétique.
Cela ne manque pas de sel compte-tenu du statut qui lui revient dans la mythologie de la guerre froide. Mais il n'empêche que c'est sans nul doute un grand écrivain.
stephane a dit…
J'ai commencé à lire un petit recueil de nouvelles de Soljenitsine. On sent bien la critique du système totalitaire, de ses absurdités.
Merci pour ta réponse éclairée.
Erscargot rouge a dit…
Convaincu !!

Je le commanderai à ma librairie et m'empresserai de le lire.

Merci pour le conseil et bonne rentrée (!), ER.
Anudar a dit…
Bienvenue ici !

Pour trouver ce bouquin, je te recommande plutôt de t'orienter vers les bouquinistes... Je peux te donner quelques conseils en cas de besoin.
Anonyme a dit…
J'avais un peu délaissé la SF mais je viens de relire le cycle de Fondation et votre analyse de la Nébuleuse d'Andromède m'incite à chercher ce livre.
Toute jeune, j'avais "chipé" à mon père un livre qui m'avait fait adorer la SF mais dont j'avais oublié depuis l'auteur : "Vénus contre la Terre". Une recherche sur Google (son bon côté !) m'a permis de voir qu'il s'agissait, déjà, d'Isaac Asimov, mais pas de retrouver ce vieux livre.
Andrée