Cleer

Quatrième et dernier nominé du Prix des Blogueurs 2011, Cleer est sous-titré "Une fantaisie corporate" et emballé dans un habillage blanc percé d'un demi-cercle (demi-lune ?) laissant voir l'intérieur rouge de la reliure, un montage à ma connaissance inhabituel pour un Lunes d'Encre... Un objet plutôt intrigant, qui surprend dès le premier contact. Et ça, c'est avant toute lecture...
Résumé :
Cleer, c'est le Groupe, une transnationale âgée d'à peine dix ans et pourtant, sa marque épurée se voit déjà partout et commence à être l'objet d'un véritable culte. Be yourself, proclame son slogan - et il est vrai que le Groupe est reconnu comme l'une des entreprises les plus éthiques au monde... Au sommet de la hiérarchie de Cleer se trouve le Board, une assemblée d'individus surnommés les anges. Sous leurs ordres se trouvent les multiples organes qui assurent le bon fonctionnement de la transnationale, engagée dans de multiples secteurs d'activité. L'un de ces organes n'est autre que la Cohésion Interne, chargée de la résolution des problèmes qui pourraient affecter l'image du Groupe. Charlotte Audiberti et Vinh Tran sont recrutés au même moment et font équipe à la CI. On les affecte à plusieurs enquêtes étonnantes, à commencer par une très surprenante vague de suicides au centre d'appel de la filiale "cadeaux personnalisés" du Groupe...
Je dois dire que ce livre m'a au premier abord beaucoup déplu. Le "monde de l'entreprise" m'inspire une saine répulsion, ayant pratiqué pendant un an les rapports hiérarchiques viciés de l'open space l'année de mon DEA. Il faut dire que les auteurs (car ils sont deux, en fait !) n'ont pas peur de noyer leur lecteur néophyte (ou hostile comme moi) dans le salmigondis de la "communication d'entreprise", avec force anglicismes et non-dits n'en facilitant guère la compréhension : j'ai envie de dire "Osons l'abscons", pour parodier une récente campagne... Et lorsque l'on commence à se familiariser avec cet univers déroutant, c'est l'histoire qui commence à vous débecter. La Cohésion Interne est décrite comme l'équivalent de l'Inquisition. Je pense que l'on pourrait aussi parler de Politburo stalinien, pour continuer dans le champ lexical du totalitarisme. Voire même d'officine barbouzarde, quand l'on voit comment s'y prend Vinh pour blanchir l'image du Groupe quand celle-ci est menacée par les manigances d'un groupuscule écologiste. Cleer, une multinationale qui lave plus blanc que blanc, à coups de propagande noire. C'est en fait à tel point qu'à un moment, dans l'une des files d'attente de l'exposition In_Perceptions, j'ai refermé ce livre en marmonnant un rageur "mais quel navet, ce bouquin !", à la grande surprise de mes voisins...

Et puis, dans les cent dernières pages (à peu près), l'histoire adopte presque d'un seul coup une véritable profondeur. Sans trop de lien avec les précédents chapitres, la collaboration entre Charlotte et Vinh prend un tour nouveau dans une dernière enquête. Vinh, qui apparaissait au départ le plus désireux d'entrer à la Cohésion Interne alors que cet éventuel recrutement externe semblait impossible, va connaître une brutale évolution - et pas que hiérarchique. Charlotte, au contraire, la fille "du sérail" qui a été recrutée en interne, va percevoir à quel point le Groupe est malsain, malgré toute sa blancheur et toute sa lumière. On perçoit ici l'intrusion d'une forme d'inhabituel, un peu comme chez Borges, à travers les méthodes inductivistes, s'apparentant presque à de la magie intellectuelle, de l'école Karenberg auxquelles Charlotte a été formée, mais pour lesquelles Vinh éprouve de la méfiance. Méthodes inductivistes et psychologisantes permettant de résoudre les problèmes - et donc, de remplir les missions de la Cohésion Interne. En ce sens Cleer n'est pas sans se rapprocher un peu de certains thèmes duniens, à commencer par celui de l'humain amélioré. Mais ce livre sait pourtant trouver sa spécificité en choisissant de traiter ce thème par le biais non plus du scientifique, mais bel et bien du fantastique.

A ce titre, Cleer ne se classe pas pour moi dans la SF mais plutôt dans la Fantasy. J'ai envie d'y voir un livre de Fantasy "future" - telle que l'on pourrait en écrire dans quelques décennies. Reste à voir ce qu'en pensera l'avenir.

Commentaires

Efelle a dit…
Marrant j'ai bien aimé cette démonstration qui vaut mieux qu'une critique en règle du système, de même que cet anti héros sociopathe avec qui on ne peut sympathiser.
Anudar a dit…
Ce n'est que vers la fin que la démonstration commence à prendre valeur de critique. Exercice un peu casse-gueule, je trouve...
Endea a dit…
Heureusement que tu as insisté, cela aurait été rude de taxer ce livre atypique de navet, lol
Anudar a dit…
Je n'ai révisé mon opinion que dans les cent dernières pages. Celui-là est passé près...