Rêve

J'ai déjà chroniqué ici les tomes précédents de la trilogie Intelligences de Martial Caroff. Après deux ans d'attente, l'auteur nous ramène dans son futur proche où l'espèce humaine découvre, au sens propre, d'autres formes d'intelligence...
Résumé : 
Après la très surprenante découverte en Antarctique d'une ville fossilisée, témoignage de l'existence au Miocène d'une civilisation d'"hommes marsupiaux" ou plutôt de Métathériens, c'est en Australie que Jacques Kieffer vont poursuivre leur quête d'intelligences. Carrie-Ann Lilly a en effet découvert là-bas une étrange peinture qui semble représenter l'un de ces Métathériens... en compagnie d'aborigènes. Or, dans l'hypothèse où les premiers auraient pu traverser l'océan jusqu'à l'Australie et s'y implanter quatorze millions d'années plus tôt, comment auraient-ils pu entrer en contact avec des êtres humains arrivés d'une façon bien plus tardive, soixante mille ans avant le présent ? Et pourquoi ne trouverait-on pas de traces archéologiques de leur passage ?
L'intrigue "métathérienne" d'Antarctique était si belle que Martial Caroff a été saisi, de toute évidence, de l'envie d'y revenir. J'ai été satisfait moi-même de constater que ce livre était en réalité une suite, comme la fin du précédent le laissait supposer, au passage. Quelques belles hypothèses viennent illuminer le début de Rêve : à la recherche de traces archéologiques sur un continent habité par des nomades, ce sont des peintures qui viennent guider Kieffer et sa comparse. Des peintures qui, comme les poteries d'Antarctique, sont plus anciennes que les temps compatibles avec l'âge de l'espèce humaine. Le "temps long" des âges géologiques contre le "temps moyen" de la durée de vie d'une espèce, voilà ce qui vient interroger le lecteur dès le début de ce livre : l'idée selon laquelle l'être humain contemporain aurait été précédé en Australie par des Homo erectus ne manque pas d'intérêt et l'on se dit que, peut-être, celui-ci a permis d'assurer la "soudure" et donc la transition entre les Métathériens et les aborigènes. On pense aussi à cet énigmatique Homme de Florès et l'on se demande si c'est là que se trouve la surprise préparée par Martial Caroff.

Et puis, en fin de compte, non. Les aborigènes australiens, s'ils sont bel et bien les héritiers d'une civilisation, et surtout d'une tradition spirituelle, vieille de près de quatorze millions d'années, sont aussi les dépositaires d'un secret si extraordinaire que la mort est promise à Kieffer s'il venait à le trahir après y avoir été initié ! Dans la deuxième partie du livre, on est donc emmené dans un périple souterrain vers une véritable "arche" en péril où l'énigme sera bien vite résolue. C'est là que le livre semble presque perdre son souffle : après avoir, pendant les deux précédents volets, nous avoir présenté d'autres intelligences décrites comme inaccessibles - trop éloignées dans l'espace et dans le temps, il devenait peut-être bien difficile de décrire d'une façon prenante une intelligence différente avec laquelle, pourtant, le dialogue est maintenant possible.

Même si je suis ressorti un peu déçu de ce livre, je dois dire, après mûre réflexion, qu'il n'est pas sans m'évoquer un thème très intéressant de la SF contemporaine, à savoir, celui de l'Elévation chère à David Brin par exemple. Somme toute, c'est l'histoire d'une "Elévation" qui nous est racontée ici par Martial Caroff, celle des ancêtres des aborigènes, et peut-être celle des Homo erectus, par les Métathériens sortis de l'Antarctique pour inventer de nouvelles solutions. Et une "Elévation" réussie, où au fil des temps géologiques l'espèce "enseignante" parvient à transmettre sa culture à l'espèce "élève"... selon une relation de respect mutuel des spécificités mais aussi, et surtout, des sensibilités : même si le langage et la spiritualité forment des ponts entre aborigènes et Métathériens, la biologie établit une barrière de part et d'autre de laquelle apparaissent des comportements caractéristiques. A ce titre, ce livre m'apparaît comme un excellent morceau de science-fiction, malgré sa baisse de régime finale... et je le pré-sélectionne par conséquent pour le Prix des Blogueurs 2013.

En espérant que, peut-être, la trilogie se change un jour en tétralogie... voire plus ?

Commentaires