Les Nefs de Pangée

Première lecture pour moi d'un livre de Christian Chavassieux, éligible par ailleurs au Prix des Blogueurs Planète SF édition 2016. Le mot Pangée n'est pas sans parler à ma sensibilité de professeur de SVT : le voir apparaître dans un contexte de littératures de l'imaginaire ne pouvait manquer d'attirer mon attention...
Résumé : 
A Basal, c'est une flotte vaincue qui revient de la neuvième chasse à l'Odalim : dispersées par les éléments, les nefs n'ont pu venir à bout du léviathan de l'océan unique, leur commandant perdu en mer et leur nombre au retour divisé par quatre. C'est pour Pangée un cycle néfaste de vingt-cinq années qui s'ouvre - mais pour la Vénérable des Anovia et son Préféré Plairil, c'est l'occasion de répliquer au destin d'une façon inouïe. Autour de Basal va s'organiser une nouvelle chasse de trois cents nefs, chargée de vaincre l'Odalim - car si la dixième est vaincue à nouveau, ce sont pas moins de dix cycles néfastes qui s'imposeront à Pangée... Logal, frère aîné de Plairil, va devoir faire sa part dans la mission de rassemblement des nations de Pangée - ainsi que dans le choix du prochain commandant. La chasse à l'Odalim est pourtant contestée à Basal même, son utilité remise en question par ceux qui ne lui voient qu'une fonction religieuse, bien loin des nécessités de la garde du continent face au mystérieux peuple des Flottants que les nefs n'ont jamais pu exterminer depuis sa première intrusion à terre, dans un passé immémorial... Et si la dixième chasse à l'Odalim était la dernière pour les peuples de Pangée ?
Les Nefs de Pangée démarre comme un roman de fantasy. Un monde imaginaire, figé dans un apparent Moyen-Âge fantasmatique et plus ou moins magique, une quête assortie d'une prophétie et d'une malédiction antique. Entre l'Odalim et les nations coalisées de Pangée, c'est l'opposition entre la mer et la terre qui est mise en scène : l'infinité d'un milieu hostile à la vie terrestre, qui regorge de richesses et de terreurs, dont la géographie semble ignorer le passage du temps, là où les civilisations de Pangée le mesurent en cycles et en années. L'Odalim n'est rien d'autre que la personnification des terreurs maritimes, capable de frapper les nefs où et quand il le désire - et lié pourtant au continent, comme s'il reconnaissait lui-même la nécessité de la lutte. Du côté de Pangée, certains mythes semblent vouloir expliquer les origines de ce conflit éternel, le plus prégnant étant celui selon lequel une chasse échouée entraînera vingt-cinq années de désastres. Ce tableau posé, la première partie du roman permet de mettre en place les éléments attendus : le cercle des personnages qui viendront tenir le premier rang de la quête, une exploration plus ou moins sommaire du continent, et les éléments qui viendront perturber ce bel agencement. Autant dire que Les Nefs de Pangée démarre avec une certaine lenteur : un pari des plus risqués de la part de l'auteur, dans la mesure où à première vue le schéma de son oeuvre n'a rien d'original.

Avec le départ de la chasse à l'Odalim, s'ouvre un deuxième temps qui met l'ensemble en perspective. Sur terre, les ennemis de la chasse mettent à bien leur projet de transformation sociale, introduisant à marche forcée les concepts de monnaie, de propriété, mais aussi de théocratie, imposant donc un basculement civilisationnel. En mer, la chasse dans les mers froides apparaît alors comme un combat mortel entre deux ennemis dépassés par leurs propres enjeux. L'Odalim est condamné par les traits empoisonnés tirés par les nefs, celles-ci ne savent pas que le monde à leur retour aura changé jusqu'à en être méconnaissable : un point de vue tout dunien et très convaincant, l'auteur nous offrant un monde construit pour mieux le réduire en miettes sous nos yeux ! Peu d'auteurs osent en effet susciter chez leur lecteur une image mentale pour mieux la faire voler en éclats une fois la mi-distance franchie... C'est culotté, c'est brillant, et c'est à même de me faire oublier que les cycles de Wilson durent pas moins de cinq cents millions d'années : on ne jongle pas avec le temps sans en payer le prix. Si la justification ultime de la construction audacieuse de Christian Chavassieux semble peut-être un peu faible, il n'en reste pas moins que l'ambition de l'ensemble compense (et même au-delà !) cette seule et unique réserve. Les Nefs de Pangée, c'est de la SF, et c'est un grand livre, de cette espèce qui donne le vertige. Il est remarquable que ce vertige soit acquis au terme d'un seul volume, et que la conclusion de ce livre n'appelle aucune suite : j'ai envie de parier que Christian Chavassieux a fait sien le dicton fremen ‪Arrakis‬ enseigne l'attitude du couteau : couper ce qui est incomplet et dire: "Maintenant c'est complet"... Pour une première rencontre, c'en est une belle, et qui restera longtemps dans ma mémoire : bravo, et merci.

Commentaires

Lune a dit…
Contente que tu aies aimé ! Et comme tu le dis, tout ça en un seul volume !
Xapur a dit…
Un excellent moment (et on échappe à une énième trilogie, ouf !).
Anudar a dit…
@Lune : le volume d'information contenu dans ce livre, à lui tout seul, suffit à fasciner.

@Xapur : je vois que tu es comme moi quand on en vient aux trilogies en SF ;)
Lorhkan a dit…
Rien à ajouter de plus, c'est un excellent roman, surprenant à plus d'un titre. ;)
Anudar a dit…
Surprenant, c'est tout à fait le mot :)
Vert a dit…
Faut que je le lise, en plus il est dans ma PàL, j'ai aucune excuse !
Anudar a dit…
Oui, aucune excuse, fonce !
Il faut que je m'y plonge, d'autant que j'ai beaucoup aimé son précédent roman.
Anudar a dit…
De mon côté, j'y allais sans a priori, et je dois dire que j'en sors intéressé pour l'avenir.