Bifrost numéro 91

Chroniqué avec retard (c'est fréquent ici), voici mon retour sur lecture du numéro 91 de la revue Bifrost : celui-ci contient (numéro d'été oblige ?) un nombre plus élevé que d'ordinaire de fictions puisqu'il en compte pas moins de six.

Au menu de cette livraison :
  • L'éditorial d'Olivier Girard : texte des plus intéressants qui souligne que l'offre éditoriale est en train de changer, se révélant plus abondante et plus riche en qualité.
  • Dans la rubrique Interstyles donc, sept nouvelles :
    • Ex silentio d'Olivier Caruso. Les Entités-particules sont des intelligences différentes, qui vivent dans les tréfonds des variations gravitationnelles et que l'être humain vient de découvrir. L'une d'entre elles est morte au cours d'une expérience - si bien que le Comité Dark Matter doit recruter un juriste afin de déterminer quelle compensation l'espèce humaine peut offrir aux Entités-particules... Si toutefois la notion de compensation leur est intelligible. Et si c'est le cas, quels risques cette transaction va-t-elle faire encourir à l'espèce humaine ? Voici un très brillant texte à la narration d'une efficacité implacable, au contenu très original et à l'écriture glaciale et glaçante. Que dire sinon bravo !
    • La Mort de John Smith de Michel Pagel. Dans un futur pas trop éloigné, la science et la magie ont concouru à conduire l'humanité à l'espace. John Smith est un monsieur-tout-le-monde qui, abattu par la médiocrité de sa vie, a résolu d'en finir en attendant la chute d'un astéroïde sur Galène III. Dans la ville minière condamnée par l'événement, le sherlock vampire Herbie-V. Quinn reçoit un contrat juteux, qui devrait lui permettre de prendre sa revanche sur un vieil ennemi... Étonnant morceau que l'on aurait presque envie de classer en science-fantasy et qui réalise en tout cas une amusante synthèse entre space-opera et fantasy urbaine, sans oublier quelques pieds-de-nez fort bienvenus et une conclusion inattendue... Bravo encore !
    • Ecouter plus fort de Léo Henry. Simet rend visite à sa grand-mère Ama'mam, qui vit avec un orang-outang empaillé : la vieille femme, après l'avoir incitée à écouter l'animal - ce qu'elle ne parvient pas à faire - lui propose de partir à la recherche des pairs de cet "homme poilu" afin d'apprendre à écouter. Ainsi commence pour Simet un voyage initiatique à travers l'Histoire d'une culture maintenant éteinte... A moins qu'il n'y ait là les premiers frémissements d'une culture nouvelle ? Chamanisme en contexte post-apocalyptique (de toute évidence) qui m'a évoqué au premier abord le Cloud Atlas des sœurs Wachowsky : si la civilisation humaine telle qu'on la connaît a disparu, s'y est substitué autre chose que j'ai envie de qualifier de post-humanisme. Si ce texte est volontiers énigmatique, il reste fort intéressant à lire.
    • Souvenirs de ma mère de Ken Liu. Amy va grandir et mûrir sans sa mère qui, atteinte d'une maladie incurable, va partir au long cours dans l'espace... Trois mois de voyage pour elle, des années pour Amy entre leurs courtes retrouvailles. Il n'y a rien à faire : la nostalgie douce-amère de Ken Liu n'est pas faite pour me plaire.
    • Trademark de Jean Baret. Toshiba est chasseur d'idées : avec son collègue Walmart, il s'apprête à participer à l'arrestation d'une bande de malfaiteurs de la pire espèce... à savoir ceux qui rejettent la société de consommation productive ! J'ai déjà dit que j'aime pas les dystopies ? Eh bien, en voilà une que l'on aurait pu - modulo réactualisation - lire il y a vingt ans, ou quarante, ou soixante. Rideau.
    • Voyage avec l'extraterrestre de Carolyn Ives Gilman. Avery est conductrice de poids-lourds. Un jour, son patron l'envoie convoyer un chargement inattendu : rien de moins qu'un "traducteur" - l'un de ces êtres humains jadis enlevés par les extraterrestres et revenus avec eux depuis leur installation sous des dômes - et la créature d'outre-espace qu'il accompagne. Le voyage semble être sans but et Lionel doit tout apprendre de la condition humaine ordinaire... à moins qu'il ne lui dissimule des informations capitales ? Il y a dans cette variation bizarroïde sur le thème de l'invasion extraterrestre une idée très originale - celle de la distinction à établir entre intelligence et conscience - mais je regrette un peu qu'elle n'ait pas connu d'exploitation plus fouillée...
  • Dans les Carnets de bord :
    • L'abondant cahier de critiques et de revue de... revues, que je n'ai fait que survoler comme j'en ai la (mauvaise) habitude.
    • Burn in the USA de Xavier Mauméjan : un article de fond revenant - dans le contexte du mouvement #MeToo et au prétexte de la parution de Brûle, sorcière, Brûle ! d'Abraham Merritt - sur l'image de la femme dans les genres de l'imaginaire sur une durée de quarante ans (soit donc entre 1932 et 1972).
    • Une interview d'éditeurs, David Vincent et Nicolas Etienne de l'Arbre Vengeur.
    • Enfin la rubrique scientifiction de Roland Lehoucq venu nous parler des voyages dans la Lune...
Bien que trois des six nouvelles de ce recueil ne m'aient pas convaincu, ce numéro reste tout à fait réussi et intéressant.

Commentaires