La Première Pierre

Je n'ai que très peu lu Ursula K. Le Guin pour le moment : mis à part quelques nouvelles ici ou là, il me reste encore à explorer presque tout son imaginaire. L'Anthologie des Utopiales édition 2018 offre à lire d'elle La Première Pierre, un court texte qui m'a fait - comme on va le constater - une forte impression.
Résumé : 
Bu est une nur : au printemps, elle doit participer à la reconstruction des murs en pierres sèches des terrasses de l'université, pour que ses maîtres obls puissent bénéficier du confort de la méditation estivale. Un jour, elle découvre une pierre aux tons bleu-vert inhabituels qui s'incorpore à merveille dans le Dessin du Doyen. La couleur qu'elle lui apporte donne un sens particulier à la structure, un sens qui va offrir aux nurs une nouvelle conscience du monde... à moins qu'ils ne fassent que la redécouvrir ?
Voici une dystopie bien caractérisée : une société stratifiée à l'extrême, dont les maîtres - les obls - possèdent tous les droits et dominent les serviteurs - les nurs - par le savoir, la tradition et le viol ; un système immémorial que plus personne ne questionne bien qu'il soit dysfonctionnel - pourtant, les terrasses doivent être refaites tous les ans ; des personnages qui ne possèdent même plus les capacités de questionnement nécessaires à une remise en question des structures oppressives qui les entourent ; un grain de sable qui s'introduit dans la machine quand le tri annuel des pierres, suite aux crues, finit par mettre aux jours un élément perturbateur et rend aux nurs un sens perdu, celui de la couleur et des concepts qu'elle transporte... et c'est ainsi que la frise méditative des terrasses, conçue pour et par des obls mais construite par des nurs, prend pour ces derniers un sens nouveau.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire, je n'aime en général pas les dystopies. Celle-ci fait exception à la règle : remplissant à mon sens tous les termes du contrat - dénonciation, proposition, évasion comme je le suggérais dans ma chronique de Darkest Minds - elle dispose de tout ce qu'il faut pour se retrouver sur le sommet du panier. Par ailleurs - et cela ne gâche rien - l'écriture de Le Guin est légère et poétique, soit donc tout à fait adaptée à cette histoire cruelle mais remplie d'espoir. On est ici très loin de la navrante production dystopique actuelle : bravo !

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