Dormeurs

Et un nouveau roman lu en numérique dans le cadre du Prix des Blogueurs 2017, un !
Résumé : 
Fredric est un Dormeur : un rêveur professionnel, engagé par la société de divertissement Dreamland, qui l'a équipé d'implants nanotechnologiques cérébraux grâce auxquels il est possible d'enregistrer ses rêves sur bille de stockage. En cette fin des années dix du XXIème siècle, il devient dès lors possible de remanier les rêves par ordinateur avant de les commercialiser, ce qui représente une manne financière pour Dreamland - et un juteux salaire pour Fredric et ses amis Dormeurs. Tout bascule pourtant quand Fredric fait un triple cauchemar après lequel sa bille n'enregistre plus le moindre rêve, au moment précis où sa compagne Emma le quitte : voilà qu'il éprouve désormais les souvenirs d'un soldat américain piégé dans le bourbier vietnamien en 1968 - et surtout la fin ignoble d'une mission au fin fond de la jungle. Pour le patron de Dreamland, seul semble importer le profit - mais que sait-il de cet homme en rouge que Fredric se met à croiser dans les souvenirs qui s'imposent à sa mémoire sans qu'il en ait jamais vécu les événements ? Que sait-il des crimes qui sont commis dans l'entourage de Fredric ?
Le futur que l'auteur décrit ici, bien qu'il ait pour argument principal les rêves et leur façon de les exploiter, n'est pas tout à fait apaisé. Trop proche sans doute de notre époque intéressante - pour ne pas dire troublée - ce futur est l'un de ceux où les corporations (telles que cette société franco-française Dreamland), à cause de la faiblesse des Etats, commencent à satisfaire leur appétit jamais trop démenti pour le pouvoir. Ici, Dreamland vend du rêve, au sens propre de l'expression : le frisson de l'imaginaire issu du cerveau d'un autre contre monnaie sonnante et trébuchante, en toute légalité, n'est-ce pas là une réalisation parfaite d'un fantasme voyeuriste ? Le rêve est toutefois truqué car remanié par les techniciens de Dreamland afin d'en expurger les contenus les plus problématiques - c'est-à-dire, trop privés : reconstructions informatiques plutôt que rêves, ils n'ont parfois plus beaucoup en commun avec la matière première de leurs auteurs.

Le rêve tourne toutefois au cauchemar pour certains utilisateurs. Les implants à rêves reposent sur une technologie de toute évidence propriétaire et vendue hors de prix. Comme on peut s'y attendre, il existe un marché de contrebande, et son utilisation n'est pas sans risques ; au contraire toutefois de ce qu'il se passe dans Le Temps du Rêve de Norman Spinrad, l'intrigue tourne non pas autour de la controverse vieille comme l'Internet qui oppose les distributeurs et les utilisateurs - et qui piège les créateurs dans l'entre-deux - mais bel et bien autour du danger inhérent à une technologie nouvelle, mal comprise par ses inventeurs tout comme par ceux qui s'en équipent. Flirtant avec le fantastique, Emmanuel Quentin suggère que la trame des rêves permet de pénétrer des univers parallèles où l'imaginaire humain se change en force fondamentale. Et en toute logique, certains imaginaires étant malsains, la chose engendre en retour des aberrations dans le monde réel. L'humanité n'est pas adulte, moins que jamais, dans ce roman court plutôt bien mené, plutôt convaincant si l'on fait abstraction de sa conclusion peut-être bâclée. On le pardonnera volontiers à son auteur : les fins positives sont rares, de nos jours !

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