Black Panther

Enfin vu il y a quelques jours - alors que je ne cessais d'en entendre parler en bien, la plupart du temps - et qui mieux est en très bonne compagnie (ce qui ne gâche rien) voici donc ma chronique de ce film de super-héros qui a fait un peu de bruit ces derniers temps.
Résumé : 
Le Wakanda est un pays d'Afrique centrale mal connu de la scène internationale : peuplé d'éleveurs et réputé pour être sous-développé, il dissimule en réalité une civilisation très avancée disposant d'une technologie originale basée sur le contrôle du vibranium déposé sur son territoire par un hasard cosmique, des millions d'années avant l'apparition de l'être humain. Son Roi n'est autre que Black Panther, un être aux pouvoirs surhumains, qui garantit la stabilité d'une culture unique dont les institutions, bien que traditionnelles, respectent les libertés individuelles. T'Challa, tout juste investi Roi, va aussitôt être confronté aux réalités du pouvoir dans un monde changeant : le danger ne viendra pourtant pas des super-héros qu'il a rencontrés quelques temps plus tôt. Viendra-t-il de la réapparition d'un vieil ennemi du Wakanda ? Des traditions elles-mêmes de son pays peut-être trop paisible ? Ou bien de quelque sinistre secret de famille dont il ignorerait tout ?
Évacuons dans un premier temps, et en vitesse, le faux procès qui a été fait à ce film : le Wakanda est un pays fictif situé en Afrique, autant sinon plus fermé au monde extérieur que ne l'était le Japon isolationniste sous le shogunat Tokugawa. L'intrigue du film s'y déroule pendant environ les cinq sixièmes de son temps fictionnel. Il n'y a rien de choquant à ce qu'en majorité ses acteurs principaux soient noirs de peau. Si vous persistez à être gêné par son casting, le problème vient de vous. Point final.

Black Panther, c'est d'abord une esthétique remarquable. Je ne m'arrêterai pas aux costumes d'inspiration tribale, bien qu'ils soient magnifiques : au-delà d'eux, ce sont les gratte-ciels du Wakanda, ses véhicules et d'une façon générale sa technologie très avancée qui lui donnent un véritable cachet de ville des temps à venir pour ne pas dire de cité idéale. Lumière, mouvement, cieux ouverts et couleurs vivantes : comme on est loin ici des avenirs pourrissants, rouillés, sinistres - en un mot : glauques - dans lesquels se complaisent le cinéma et les littératures de l'imaginaire de nos jours... Malgré les apparences, le Wakanda ne tient pas tout à fait d'une utopie : là encore, sans avoir à s'arrêter à ses traditions archaïques et en particulier à celle de l'intronisation d'un nouveau souverain, le terreau civilisationnel de cette véritable techno-monarchie est celui d'une culture pas tout à fait pacifiée. Entre les citadins, qui appartiennent à quatre des cinq tribus fondatrices, et les adorateurs montagnards du dieu-singe Hanuman - dont je me demande comment le nom a pu être parachuté en Afrique depuis l'Inde légendaire du Ramayana - il existe un conflit jamais réglé : le Wakanda doit-il exploiter son précieux vibranium, ou bien renoncer à la haute technologie au bénéfice d'une vie plus traditionnelle ? Trompeuse dichotomie toutefois : le village de la cinquième tribu - hostile donc à la technologie avancée des quatre autres - n'en apparaît pas moins civilisé. La menace qui pèse sur le règne de T'Challa ne se trouve donc pas là.

Il pourrait être tentant de penser qu'un avenir lumineux est incompatible avec les déséquilibres sans lesquels il n'y a pas de belles histoires en imaginaire, et c'est vrai qu'il est plus facile d'en définir dans le cadre d'histoires glauques ; le deuxième atout puissant de Black Panther, c'est bel et bien d'être construit sur un déséquilibre intrinsèque dont le spectateur lui-même ignore presque tout jusqu'à la moitié du film. La tragédie grecque regorge d'histoires de familles déchirées par le destin ou la volonté maligne des dieux de l'Olympe : causes transcendantes à la condition humaine, par nature impitoyables et promettant dès le départ les protagonistes au désastre, à la folie et même à la mort. Point de causes transcendantes ici : le Wakanda, issu lui-même d'un caprice du destin, y échappe en totalité. Le monde extérieur ne représente pas un véritable danger - ou alors à la marge - mais le destin de l'humanité au-delà de ses frontières n'est pas sans préoccuper certains des siens. Cette préoccupation se manifeste alors à travers deux philosophies antagonistes : celle de l'intervention extérieure, qu'elle soit discrète ou au contraire affirmée, et celle de l'isolement persistant. Est-il légitime de vivre dans la paix quand ses semblables connaissent la guerre et la douleur ? Telle est la question épineuse à laquelle T'Challa va devoir trouver une réponse : mais comment trancher entre la position qui fut celle de son père, et celle qui est mise en avant par son propre cousin ? Apparaissent ici en filigrane les oppositions entre les différentes idéologies de la libération, violente et non-violente : en bon super-héros - et en bon Roi - T'Challa va devoir trouver une synthèse, questionnant au passage notre propre attitude à l'égard du désordre mondial... Black Panther en ressort en fin de compte plus que convaincant, atypique au sein du Marvelverse car plus profond que pas mal de ses morceaux : bravo !

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