Erased

Après la première saison de Dark il y a quelques semaines, voici une autre histoire de voyage temporel impliquant des enfants, mais dont l'argument tout comme son traitement sont tout à fait différents. Dark avait été pour moi une claque et il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que je puisse avoir envie de me plonger dans une histoire similaire - tout en craignant dans le même temps que sa force ne parvienne pas à égaler celle de la première...
Résumé : 
En 2006, à bientôt trente ans, Satoru est un auteur de mangas qui n'arrive pas à percer. Il a un petit boulot alimentaire de livreur de pizzas, où il côtoie une amie de dix ans plus jeune que lui, il a aussi une mère peut-être envahissante mais malgré tout très aimante... et il a surtout un étrange pouvoir : quand il se trouve en mesure d'empêcher un événement tragique, il subit un "revival" et revient à un moment déterminé du passé, lui permettant d'agir et d'éviter un accident ou même un décès. A la faveur de l'un de ces incidents il se retrouve lui-même à l'hôpital et sa mère vient l'assister quelques jours dans sa vie quotidienne : c'est alors que sur un parking elle est témoin d'une scène inquiétante qui l'amène à évoquer une série de disparitions d'enfants dont Satoru se rappelle à peine, car elle s'est produite lorsqu'il était lui-même enfant. Quelques heures plus tard, quand il rentre chez lui, Satoru découvre que sa mère a été assassinée... puis se rend compte qu'à la suite d'un quiproquo il est le principal suspect du crime commis ! Sa fuite éperdue l'entraîne dans une impasse où des policiers ne tardent pas à le piéger... quand un "revival" vient le tirer d'affaire, pour le propulser un matin enneigé de son année de CM2... dix-huit ans plus tôt ! Jamais un "revival" ne l'a envoyé aussi loin dans le passé : y aurait-il un lien entre l'assassinat de sa mère et la vague d'enlèvements de 1988 ? Et si, pour sauver sa mère, Satoru devait avant tout sauver ceux qui ont disparu dans le passé ?
Comme pour Dark, la notion de physio-temps chère à Isaac Asimov dans La Fin de l'Eternité constitue l'un des arguments centraux de cette série. Même sans être cité, le développement de l'intrigue témoigne de ce que ses auteurs - il s'agit de l'adaptation d'un manga - ont sans nul doute réfléchi à la question comme l'avait fait le Bon Docteur en son temps : l'existence même d'un voyageur temporel subordonne la flèche du temps universel à celle du temps biologique du voyageur. Ici, Satoru est le seul personnage qui dispose d'une capacité de voyage dans le temps : hors de toute justification scientifique, il est tentant de classer cette série dans le domaine du fantastique, et pour être plus précis dans ce fantastique non-borgésien qui se greffe au réel plutôt qu'il ne s'y infiltre ; mais au-delà du voyage temporel, il faut bien reconnaître que cette histoire ne repose que très peu sur les arguments les plus fréquents de l'imaginaire. Les aller-retours de Satoru dans le temps se font le long de la flèche du temps de ses souvenirs plutôt que le long de celle de sa vie biologique : au fond seule sa conscience et ses souvenirs voyagent, et non pas sa chair puisque le "revival", quand il commence ou quand il prend fin, le ramène à son corps d'enfant ou d'adulte. L'enquête policière elle-même n'exploite que très peu cette veine temporelle : si Satoru progresse dans la résolution de l'énigme, c'est à cause de ses propres souvenirs qui, parfois, s'estompent à la faveur d'un nouveau traumatisme.

Il n'y a donc ici pas comme dans Dark cette notion de synchronisation entre les époques - passé, présent, futur - dont les protagonistes en voyageant et en croyant modifier l'Histoire ne font que la confirmer. Ici, les itérations du "revival" de Satoru lui permettent bel et bien d'affiner son tir contre le tueur - évoquant presque le concept du 22/11/63 de Stephen King - et fermant toutes les issues par lesquelles il aurait pu accomplir ses desseins néfastes : il faudra pour cela comprendre la motivation du tueur mais aussi à définir ce qui le conduit à choisir une cible plutôt qu'une autre. A ce jeu, qui prend pour Satoru la forme de la séduction amicale - et qui le conduit à se constituer une bande d'amis précieux dans le passé comme dans les différents présents - le tueur finira lui aussi par jouer : adulte lui-même, sans aucun scrupule... il est déterminé à faire tout ce qu'il faut pour se protéger tout en satisfaisant ses noirs désirs. Le combat de Satoru n'est donc pas un simple combat manichéen ou même pour la justice : quelque part, il s'agit bel et bien d'un combat de l'ordre contre le chaos, toute solution de facilité revenant à laisser un espace dans lequel peut se faufiler l'horreur. Pour Satoru, qui vivra pas moins de trois fois ces jours fatidiques de son année de CM2, et trois fois un présent à chaque fois renouvelé, l'enjeu est de réaliser le meilleur des destins possibles - sachant qu'au terme du voyage, c'est la souffrance et peut-être la mort qui l'attendent...

Le postulat d'Erased, s'il peut sembler à première vue proche de celui de Dark, est en vérité très différent : le temps n'est pas perçu ici dans sa dimension implacable et peut-être cruelle, à la force de malédiction, mais plutôt dans sa dimension douce-amère, celle des souvenirs à moitié enfuis ou des sensations de déjà-vu qui éveillent la nostalgie. Les belles images finales où, pour un fugitif instant, le Satoru enfin redevenu adulte échange un regard et un sourire complice avec son alter-ego âgé de dix ans, nous rappellent qu'à chaque instant de la vie le moment est venu de regarder en arrière pour mieux contempler le présent - et construire le futur comme on l'entend. L'histoire s'arrête ici, car elle est désormais ouverte pour de bon : le personnage de Satoru méritait pareille conclusion, dans le présent comme dans le passé. Bravo !

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