Le chant du loup

"Il y a trois sortes d'hommes :
les vivants,
les morts,
et ceux qui vont sur la mer."
Aristote.
Résumé :
Le Titane est un sous-marin français, engagé dans une dangereuse mission de récupération aux larges des côtes syriennes. Afin de prolonger son séjour dans des eaux croisées par un nombre important de bâtiments ennemis, le commandant Grandchamp fait confiance au jeune Chanteraide, "oreille d'or" du sous-marin qui - malgré des méthodes un peu fantasques - se révèle souvent d'une efficacité implacable. Pourtant, la mission manque tourner mal quand le talent de Chanteraide se trouve pris au dépourvu par un son jamais entendu auparavant... De retour en France, viennent le débriefing et les critiques : au moment où les tensions internationales ne cessent de grimper, les supérieurs des hommes du Titane vont se rendre compte que les recherches obsessionnelles de Chanteraide pourraient avoir un tout autre enjeu que la seule fierté professionnelle d'un opérateur de sonar...
Les sous-marins lanceurs d'engins (ou SMLE) sont, comme le dit l'un des personnages du film, l'assurance-vie du pays : selon les termes de la doctrine de destruction mutuelle, il s'agit de mettre en oeuvre des mesures d'élimination à l'égard d'un ennemi ayant entrepris ou accompli une campagne de destruction des intérêts vitaux. Ainsi, chaque puissance nucléaire est en mesure de dissuader ses rivales de tirer en premier puisque celui qui tire en premier ne fait que signer son propre arrêt de mort. Si c'est - à un tout autre niveau - un argument que la SF a su exploiter y compris de nos jours, il faut reconnaître que nous vivons depuis sept décennies dans un monde où cette doctrine est une loi non écrite des relations internationales. Un corollaire méconnu de cette doctrine est qu'une fois donné, l'ordre de procéder à un tir nucléaire ne peut plus être annulé : le donneur d'ordres le sait, tout comme son ennemi potentiel - ce qui, on l'espère, invite les deux à ne pas prendre ce genre de décision à la légère. Or, les intérêts extérieurs d'une puissance nucléaire sont souvent complexes et peuvent nécessiter du temps pour être analysés avec soin. Comment garantir que les bons choix soient faits, par un seul individu, alors qu'entre la détection d'un tir ennemi et l'impact fatal peuvent ne s'écouler que quelques dizaines de minutes ? C'est sur ce problème angoissant que se noue le film. Face à la perspective de l'extinction - celle de l'individu ou celle de l'espèce - les personnages de ce film (presque tous des hommes) se révèlent faillibles et se trompent, ou craquent, au moment où il ne faudrait surtout pas.

Les acteurs de ce film se révèlent à la hauteur de la mission difficile qui leur est confiée : montrer comment des individus ordinaires - jusqu'à preuve du contraire, les soldats (fussent-ils sous-mariniers) en sont - réagissent une fois dans "le toboggan", pour reprendre une expression du personnage de l'amiral joué par Mathieu Kassovitz. Dans la mesure où le "système" (comprendre : la doctrine de dissuasion française) ne laisse envisager aucune solution évidente voire aucune bonne solution, que faut-il faire ? Alors que du plus haut sommet de l'Etat le contre-ordre suit l'ordre à quelques minutes d'intervalle, comment faire en sorte que soit bien annulé un ordre qui ne peut pas l'être ? C'est d'ici que sourd l'angoisse pour les personnages comme pour le spectateur, qui visualise quelles peuvent être les réactions des soldats confrontés à une situation à laquelle on ne peut pas être préparé même si on y a été formé : de l'obéissance mécanique à la panique animale en passant par la créativité désespérée, c'est de cette dernière et d'elle seule que peut venir la solution - même si celle-ci passe par le sacrifice héroïque de sa vie ou de son talent...

Il faut dire que le milieu de vie des sous-mariniers contraint leur façon d'agir et de penser : l'être humain peut sembler n'être pas fait pour vivre dans un engin clos sous tous les angles et cerné par l'un des environnements les plus hostiles qui soient pour lui, celui de la haute mer et surtout celui de ses profondeurs. De ce fait, ceux qui s'y aventurent malgré tout et y vivent pour de longues semaines en ayant en tête une mission de l'importance qui est celle de l'équipage d'un SMLE peuvent-ils continuer à réagir en toute rationalité ? Ou bien doivent-ils, tôt ou tard, s'en remettre à la confiance voire à la foi ? On retrouve ici certaines des interrogations que Frank Herbert soulevait dans Le Dragon sous la mer : les hommes "sous pression" finissent par développer une expérience et une mentalité particulières, presque étrangères à celles des donneurs d'ordre qui vivent eux en surface. La dichotomie entre les deux groupes est-elle une promesse ou au contraire une menace ? Là où Le Dragon sous la mer envisageait - comme souvent chez Herbert - l'évolution de la psyché comme un élément de solution, Le chant du loup donne tout son sens à la citation d'Aristote qui l'ouvre. Se rappeler qu'ils sont encore humains malgré la pression - celle de l'environnement comme celle des procédures - c'est peut-être la grande force des personnages de ce film dont la leçon, in fine, se révèle aussi inquiétante que magistrale...

Commentaires

XL a dit…
j'ai une autre lecture de la citation d'Aristote, à la manière du chat de Schrödinger, après avoir vu le film
Anudar a dit…
Vas-y, explique :)
XL a dit…
les vivants, les morts et ceux qui vivent en mer
pour ces derniers, ceux qui les attendent à terre restent dans l'ignorance de leur statut

Anudar a dit…
Oui, en effet, c'est clairement une lecture possible même si imprévue par Aristote...