Ça : Chapitre 2

Après deux ans d'attente, le second chapitre de l'adaptation du grand roman de Stephen King a enfin été dévoilé en septembre dernier. Pour diverses raisons, je n'ai pas pris tout de suite le temps de faire mon retour sur ce film que j'attendais pourtant avec envie : le moment est aujourd'hui venu d'en parler !
Résumé : 
En 2016, Derry est le théâtre d'un crime haineux : deux homosexuels sont passés à tabac en marge d'une fête foraine, et l'un d'entre eux est jeté à bas d'un pont... Pour Mike, bibliothécaire à Derry, un détail du crime lui donne à penser que l'horreur s'apprête à frapper à nouveau sa ville : un signe de vie sinistre, émanant d'un clown qu'il connait bien pour l'avoir déjà rencontré vingt-sept ans plus tôt alors qu'il n'était qu'un adolescent. Alors, il bat le rappel de ses anciens amis avec lesquels il avait autrefois signé un pacte dans le sang : si jamais Ça devait recommencer, ils se rassembleraient à nouveau pour contrecarrer la terreur de Grippe-Sou, le clown dansant. Mais les Ratés vivent désormais loin de Derry. Tous ont des vies bien remplies et ils ont presque tout oublié de l'horreur qu'ils ont combattue autrefois. Il faut mettre fin à Grippe-Sou, une bonne fois pour toutes - mais en auront-ils encore la force ?
Comme je le disais dans mes chroniques du roman Ça, le monstre qui se terre au plus profond des égouts de Derry peut s'interpréter comme la mauvaise conscience d'une jeune nation. En 1989, les Ratés ont une douzaine d'années : le clown maléfique endosse des formes qui éveillent des peurs encore peu intellectualisées, celles des gosses qu'ils sont ; en 2016, ils sont devenu des adultes tout aussi dysfonctionnels que les enfants qu'ils étaient et désormais, le clown gratte les croûtes de leurs vies imparfaites. Chacun porte les stigmates d'une enfance difficile à différents titres et doit, en plus, porter maintenant celles d'une vie adulte alourdie de névroses. Quand on est gosse, on craint l'autre : l'adulte, le pair que l'on ne comprend pas, ou même l'identité que l'on porte en soi-même et que l'on rejette. Quand on est adulte, on peut craindre encore toutes ces altérités - mais l'on se met à craindre en plus et surtout ce qu'il peut arriver. Devenir adulte, c'est apprendre que parfois il faut s'interposer, au risque de sa propre existence - ou à celui de contempler son propre échec. C'est ainsi que les Ratés, en 2016, sont à la fois plus forts et plus faibles qu'en 1989 : plus forts parce qu'ils savent qu'ils ont réussi la première fois - et plus faibles parce qu'ils craignent de ne pas y arriver la deuxième.

Ça, c'est avant tout un portrait de l'humanité : en 1989 comme en 2016 les personnages sont héroïques sans être des héros pour autant car ce sont des Ratés - au sens où ils sont imparfaits, c'est à dire humains. Ce que le clown fait si bien, c'est détecter leurs fragilités pour mieux appuyer dessus et les contraindre à quitter Derry en oubliant leur mission. Là où les Ratés deviennent héroïques, c'est à force de résister aux injonctions : en ne cédant pas à sa nature le personnage ordinaire finit par en changer, le trouillard se faisant courageux et l'indécis déterminé. La nature des Ratés s'exprime depuis l'enfance : au fond, en 2016 ils apprennent à se réconcilier avec les adolescents qu'ils ont été - ces êtres différents dont ils portent le lourd héritage, les secrets et les regrets, car telle est la clé de la réussite face au clown. La narration - étonnante au premier abord pour le lecteur du livre - finit en fait par se justifier : le premier film, qui s'intéressait à la seule première bataille contre le clown, laissait de côté l'autre dimension du récit (celle de l'âge adulte) ; le second quant à lui reprend la structure du livre avec ses aller-retours et ses résonances entre les deux époques. De ce fait, les deux films doivent être considérés comme un seul et même objet : le premier peut passer à première vue pour une seule unité - mais le deuxième donne à comprendre les faux-semblants et la réalité derrière les souvenirs mal interprétés de l'enfance.

Dans ce récit d'une acceptation de la maturité, le clown Grippe-Sou n'est pas qu'un antagoniste. En volant leur enfance aux Ratés, il devient en quelque sorte l'acteur de sa propre destruction... mais en se révélant lui-même plus fragile que les Ratés en gardaient le souvenir, il leur offre une clé dans ce voyage vers l'âge adulte. Trouver la bonne façon de tuer le clown, c'est donner une nouvelle chance à l'encombrante présence de l'adolescent piégée dans le corps de l'adulte. A nouveau, Grippe-Sou peut être compris comme le spectre qui hante la conscience collective des Etats-Unis : Stephen King - lequel gratifie le film d'une participation en forme d'approbation ! - prenait soin dans son roman de montrer qu'à chaque fois, le clown adoptait les oripeaux contemporains de la haine. Le temps fictionnel trop court (même en mettant les deux films bout à bout) et la structure narrative inattendue ne permettent pas de conduire à l'écran une exploration exhaustive des haines de chaque époque des Etats-Unis comme le faisait le livre, mais les choix faits restent pertinents et surtout d'autant plus efficaces qu'ils nous sont contemporains. C'est à ce détail que l'on comprend, a posteriori, l'intérêt d'avoir décalé la temporalité de l'intrigue : Stephen King montrait qu'aux peurs nucléaires des années 50 répondaient les terreurs urbaines des années 80 ; le film suggère ici qu'aux secondes répondent les aberrations politiques des années 10.

Il fallait, pour conclure Ça, trouver le juste équilibre entre horreur et interrogations humaines... Ce second chapitre y parvient, et même au-delà : bravo !

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