Premier Contact

Un film de SF, inspiré d'une nouvelle appréciée par de nombreux de mes blogoconfrères, et dont l'affiche dérangeante m'attirait : il m'a suffi d'un après-midi sans rien de prévu pour aller voir de quoi il retournait...
Résumé : 
Douze vaisseaux extraterrestres se posent à différents emplacements de la Terre. Toutes les dix-huit heures, des trappes s'y ouvrent, permettant à des gens de pénétrer dans des salles où des êtres bientôt appelés "heptapodes" répondent à leurs questions par des grondements incompréhensibles. Pour l'espèce humaine, deux questions deviennent aussitôt brûlantes : qui sont les visiteurs et quelles sont leurs intentions ? Louise Banks est une linguiste choisie par le gouvernement des Etats-Unis pour enrichir de son expertise l'équipe pluridisciplinaire montée en urgence, et conduite au pied d'un vaisseau atterri au beau milieu du Montana : elle et le mathématicien Ian Donnelly ont bien peu de temps pour résoudre l'énigme... Car, tandis que certains gouvernements sont prêts à coopérer entre eux pour comprendre les visiteurs au plus vite, d'autres continuent à se méfier de leurs voisins. Louise et Ian auront-ils le temps d'accomplir leur mission avant que le monde ne sombre dans le chaos ?
Premier Contact, c'est d'abord une véritable ambiance. Ces vaisseaux très inhabituels dans l'imagerie science-fictive, pour commencer, plantent le décor : inquiétants - ce n'est à mon avis pas un hasard s'ils évoquent un peu les fameux monolithes de 2001 - et dérangeants comme écrit plus haut, ils donnent une impression de greffe d'un corps étranger sur les plaines vertes du Montana comme sur la mer de Chine... Ils sont, en soi, l'incarnation du cauchemar classique - ainsi que le désignait Robert Sheckley - c'est-à-dire celui de l'intrusion d'une réalité extraterrestre au coeur du quotidien commun à l'espèce humaine. A l'intérieur des vaisseaux, le cauchemar continue : les extraterrestres eux-mêmes se dissimulent de l'autre côté d'une paroi transparente et dans une atmosphère vaporeuse qui ne laisse pas voir l'ensemble de leurs corps gigantesques, lesquels sont assez monstrueux pour que le nom qui est donné aux visiteurs par leurs hôtes humains ne leur rende que très peu justice : une pieuvre dotée d'intelligence est elle-même dérangeante à l'esprit humain, pour des raisons intrinsèques. Et cela marche : le cauchemar déborde à l'extérieur, poussant une humanité moins que jamais adulte au bord de la folie collective, affectant même l'intellect de Louise qui commence à être harcelée par des souvenirs de sa fille décédée à l'adolescence d'une grave maladie : opposition brutale entre les scènes floues, en lumière grise, sous un ciel bouché ou dans le tunnel à gravité maîtrisée du vaisseau extraterrestre, et les images lumineuses de ce temps lointain où seuls comptent le Soleil, le sourire d'une enfant et l'enchaînement heureux des jours. Est-ce bien du surmenage ? Est-ce de la folie ? Ou est-ce autre chose ?

Ces images brillantes - que l'on croit d'abord sorties du passé de Louise, puis d'hallucinations liées au traitement stimulant prodigué de force par l'infirmerie de campagne pour soutenir les scientifiques dans leur tâche aussi épuisante que stressante - éclairent l'ensemble du film, de bout en bout, y compris au plus profond du cauchemar, venant s'imposer à la linguiste aux moments cruciaux de sa quête. Soutenue par le travail discret mais si efficace de Ian, et déterminée surtout à percer l'énigme non pas tant pour obtenir les réponses aux questions qui affolent l'espèce humaine toute entière mais plutôt par volonté réelle de communiquer avec les visiteurs, Louise - pas à pas - va en effet percer le secret de leur calligraphie circulaire, pour découvrir que ce langage écrit si différent de ceux qu'elle connaît peut modifier son propre esprit, lui conférant un véritable pouvoir de prescience. La référence à Frank Herbert est inévitable : devenue capable de comprendre pour de vrai les phrases circulaires des visiteurs, Louise s'élève à un niveau supérieur de compréhension et fait le premier pas vers la post-humanité - car, son esprit changé par la pensée qui imprègne cette écriture de glyphes mêlés en cercles, voilà qu'elle devient autre chose qu'une simple traductrice... à savoir l'indispensable interprète qui pourra changer à son tour la façon de penser de sa propre espèce, permettant ainsi aux heptapodes d'obtenir un jour l'aide qu'ils espèrent en retour. Je ne connais pas la nouvelle de Ted Chiang de laquelle ce film est adapté, mais je sais que le Maître Herbert avait lui-même abordé ce thème de la communication avec des visiteurs débarqués sur Terre à travers la nouvelle Essayez de vous souvenir qui ouvre le recueil Champ mental. Il est difficile, devant ce film, de ne pas penser à l'oeuvre du Maître et à ses enjeux : comme dans Dune et comme dans tant des romans de Herbert il est question ici d'évolution de la conscience humaine. C'est donc une oeuvre brillante, qui témoigne à la fois d'une véritable ambition science-fictive et d'une puissante capacité à satisfaire cette ambition, que ce soit par sa narration audacieuse à même d'en tromper plus d'un que par ses choix graphiques si convaincants : j'en sors en toute logique ébloui, bravo !

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