Avengers : Endgame
Il y a un an, je chroniquais Avengers : Infinity Wars, première moitié d'un dyptique destiné à marquer une fin d'époque - voire peut-être même conclure la saga des Avengers. Il était certain en tout cas qu'au terme de ce film, le Marvelverse était appelé à changer voire même à se réinventer... Les attentes étaient immenses et la curiosité, pour l'amateur très peu éclairé de super-héros que je suis, l'était tout autant. Restait à juger sur pièces... Attention, la présente chronique inclut des spoilers qui ne seront pas signalés in situ.
Résumé :
Thanos a gagné : il a fait disparaître la moitié des êtres pensants de l'Univers. L'équipe des Avengers est mutilée à l'image du monde... et ce n'est pas l'arrivée après la bataille de Captain Marvel qui va changer la donne. Le titan, qui s'est exilé sur une planète lointaine où il vit seul et d'agriculture, a pris le soin de détruire les pierres d'infinité : il n'y a pas de retour en arrière possible, comme le réalisent furieux et terrifiés les Avengers dont la mission de sauvetage universelle se change alors en très peu satisfaisante opération punitive... La vengeance ne suffit toutefois pas à réparer le monde et, cinq ans plus tard, celui-ci piétine encore. Les héros eux-mêmes sont meurtris : Captain Marvel a repris le large, Iron Man a raccroché les gants, OEil-de-Faucon s'est perdu dans l'interprétation morale du génocide et Thor s'est changé en épave. Un espoir ténu se fait pourtant jour quand réapparaît Ant-Man, piégé dans une bulle quantique au moment même du crime de Thanos : pour lui, les cinq années n'ont duré que cinq heures. Tony Stark et Bruce Banner sauront-ils exploiter cet effet inattendu pour construire une machine à voyager dans le temps et... aller dans le passé subtiliser les pierres d'infinité qui permettront de renverser la donne ? C'est sans compter que si les Avengers ont réussi à éliminer Thanos dans le présent, le titan est toujours en vie dans le passé - toujours en vie, et toujours déterminé à mettre la main sur les pierres... et que si les Avengers peuvent jouer avec le temps sans les pierres, lui aussi en sera capable. Qui peut dire si les choix les plus terribles ne sont pas encore à faire, pour les Avengers ?
Que faire après une catastrophe ? Selon la sensibilité de la personne à laquelle on pose cette question, deux réponses pourront se faire jour : l'une des deux implique la possibilité de la reconstruction alors que l'autre pourrait évoquer celle de la réparation. Les deux options ne sont pas interchangeables. Reconstruire, cela veut dire accepter la ruine et bâtir à partir de celle-ci quelque chose qui - malgré sa ressemblance avec ce qui précédait - sera nouveau. Réparer, cela veut dire nier la ruine et reconstituer ce qui existait à l'identique - faire en sorte que cela n'ait pas eu lieu.
Reconstruire après la fin du monde est difficile : cela implique des transformations de masse afin d'accommoder les changements catastrophiques - des transformations physiques, psychologiques et sociales dont le coût peut être élevé. Après tout, les héros n'ont-ils pas échoué là où jusqu'à présent ils avaient toujours su réussir ? Le monde, habitué à compter sur leur présence et leur capacité à toujours sauver la mise même si c'était parfois in extremis pourra-t-il ne pas sortir transformé d'un retour à l'inéluctabilité d'une catastrophe ? Le super-héros lui-même ne sortira-t-il pas endommagé de cette expérience qui le renvoie en fait à sa propre humanité à la fois faillible et fragile ? Avengers : Endgame nous montre ainsi des super-héros dont la nature s'endommage suite à la fin du monde. Naufrage intellectuel, naufrage moral et naufrage physique, les réponses traumatiques sont multiples et sont illustrées par le trio Iron Man, OEil-de-Faucon et Thor qui ne sont plus que les ombres de ce qu'ils ont été. D'autres héros ne renoncent pas même s'ils se sentent plus démunis que jamais : l'union et la complémentarité avec d'autres avaient fait leur force - et les autres se mettent à manquer, disparus lors de la catastrophe, consumés par le drame ou exilés dans leur tour d'ivoire comme Captain Marvel. C'est ainsi que le monde piétine, râlant sous les pertes irréparables et les troubles nés du génocide. Eliminer Thanos après son crime - et surtout après que le titan l'ait rendu en apparence irréversible - ne sert qu'à soulager un peu la frustration : que faire d'autre, au fond ? Reconstruire, cela veut dire aussi trouver un nouveau sens à une vie qui n'en a plus.
Réparer correspond au contraire à une logique maximaliste et peut-être folle. On le sait, les voyages temporels ne sont pas absents du Marvelverse : quel meilleur moyen de nier une catastrophe... que de l'empêcher avant qu'elle ne se soit produite ? Or les survivants du génocide n'en sont pas coupables mais bel et bien des victimes d'un autre genre, confrontés qu'ils sont à un monde à rebâtir sur ses ruines : comment pourrait-on les priver du droit à vivre les vies qu'ils ont entamées après la catastrophe ? C'est le rôle symbolique joué par la fille de Tony Stark / Iron Man, lequel est conscient de ce que nier la catastrophe par une excursion temporelle revient aussi à nier l'existence de son enfant et de tous ceux qui sont nés suite à son échec. La frilosité du personnage devant la réparation éventuelle s'explique par les implications de celle-ci - et s'il met à contrecœur son intelligence au service du projet des Avengers qui n'ont pas renoncé, ce n'est que sous conditions. C'est ainsi qu'Avengers : Endgame propose en fin de compte une synthèse assez audacieuse de la reconstruction et de la réparation - mais de toute façon, le souvenir de la catastrophe étant appelé à subsister dans la mémoire de ses réparateurs, cette synthèse n'était-elle pas obligatoire à un niveau ou à un autre ? La tâche, qu'elle relève de la simple réparation comme de son association éventuelle à la reconstruction, sera donc appelée à être débattue entre super-héros... d'autant plus qu'à jouer avec le temps, on risque de mettre sa continuité en péril et introduire des paradoxes dont le moins grave serait d'avoir à... s'opposer à soi-même.
C'est donc de cette nécessaire synthèse entre la reconstruction et la réparation que sort l'intérêt de ce film. Après une première partie des plus toniques, les auteurs ont fait le choix de recourir à une narration plus paisible au moins dans un premier temps. Celle-ci est l'occasion - outre de présenter les enjeux de la synthèse évoquée ci-dessus - de faire un retour sur les itérations du Marvelverse depuis plus de dix ans. D'aucuns pourraient dédaigner cet exercice en le présentant comme du fan service - mais ce serait oublier que l'ensemble de cet univers cinématographique est de toute façon du fan service et aussi que le souvenir des films les plus anciens peut s'être dilué dans la mémoire du public. La conséquence de cette narration est la dilatation du temps fictionnel utilisé : ce film est long, et l'on se surprend parfois bel et bien à lorgner sa montre, ce qui témoigne de ce que certaines séquences ne sont pas aussi efficaces qu'elles ne l'auraient dû. La clef de voûte du spectacle se trouve à sa fin : la bataille finale plus dantesque encore que celle du premier film est un impératif que l'on était en droit d'attendre... mais pour conclure ainsi que la saga le méritait, il fallait en réalité aller plus loin en nouant les fils d'intrigue et en justifiant l'élimination des personnages qui seront désormais absents. On regrettera bien sûr que le Thanos tout droit sorti du passé soit si peu énigmatique : celui du précédent film n'était pas qu'un simple super-vilain, et s'il semblait s'apparenter à Morgoth son successeur n'est pas beaucoup plus qu'un Nazgûl, à savoir la caricature de danger existentiel... On s'interrogera bien sûr aussi quant aux passages de relais qui s'annoncent : suffiront-ils à offrir au Marvelverse le renouvellement dont il a besoin à présent ?
La tâche était rude. Le résultat final, s'il n'est pas tout à fait à la hauteur des espérances, ne déçoit pas pour autant : au fond, Avengers : Endgame était peut-être bien le film dont le public avait besoin... histoire de tourner la page, ou de fermer le livre.
Ne manquez pas l'avis d'Odieux Connard !
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