Alita : Battle Angel

De Gunnm, le manga de Yukito Kishiro, je n'avais que très peu entendu parler avant que les écrans ne se mettent à diffuser la bande-annonce de cette adaptation : une camarade de classe le lisait quand j'étais en Terminale, et en parlait avec beaucoup d'enthousiasme - sauf qu'à l'époque, je ne lisais pas de mangas... Alita : Battle Angel est donc un film en images réelles cherchant à restituer l'univers de Gunnm. Pourtant, malgré ma méconnaissance de l'oeuvre initiale, un critère me permet d'évaluer l'intérêt de son adaptation : celui de savoir si - oui ou non - le film donne envie de se pencher sur le matériau littéraire de départ !
Résumé : 
Quand le docteur Ido, chirurgien pour cyborgs, déniche dans une décharge la tête et une partie du thorax d'une adolescente cybernétisée, c'est avec stupéfaction qu'il découvre que la malheureuse est encore vivante... Il la greffe alors sur un corps mécanique jadis construit pour sa propre fille, et c'est ainsi que s'éveille sa protégée, amnésique mais dotée d'un corps et d'une envie de comprendre le monde qui l'entoure. Alita est en particulier fascinée par Zalem, la ville flottante qui domine Iron City qui en est en fait la décharge : inaccessible et pourtant magnifique, Zalem est la dernière de son genre depuis une guerre cataclysmique - et Iron City est une ville sans foi ni loi dont la sécurité n'est garantie que par les chasseurs de primes. Alors qu'Ido semble avoir d'étranges activités nocturnes et lui interdit de trop s'éloigner de leur domicile, Alita découvre bientôt qu'elle possède un étonnant talent de combattante. Qui est-elle ? Et comment lever son amnésie ?
Le couplet doit commencer à être connu : je n'aime pas le post-ap'. C'est ainsi, cela ne se discute pas, et de toute façon j'ai déjà eu l'occasion d'argumenter la chose maintes fois. Pourtant, la production en imaginaire fait depuis des années la part belle à ce genre que je n'aime pas et, de ce fait, il m'est parfois difficile de passer à travers... Je remarque toutefois, ces derniers temps, que le post-ap' se marie de plus en plus à d'autres genres et j'y vois une raison de penser que le genre perd en popularité - puisqu'il a besoin d'être soutenu par d'autres esthétiques voire d'autres argumentations - et peut-être même qu'il s'essouffle. Je ne m'en plaindrai pas.

Le fait est que le film Alita : Battle Angel, s'il peut être recensé en post-ap' en raison de son esthétique et de son contexte - une civilisation effondrée dont les derniers noyaux sont perdus en plein désert, admet ce classement avec un certain nombre d'arrière-pensées intéressantes. Ce monde va mal suite à une guerre terrifiante mais certains indices laissent à penser qu'il pourrait s'orienter vers une forme de guérison : les vainqueurs ont souffert à tel point que leur position est presque aussi précaire que s'ils avaient perdu, d'autant plus que les idées de leurs ennemis - voire les ennemis eux-mêmes ! - n'ont pas été tout à fait tirées de l'échiquier... La guerre elle-même est ancienne et si l'orgueilleuse Zalem domine les cieux, c'est dans les rues crasseuses et entre les ruines d'Iron City que le nouveau monde est en train de mûrir. Du reste, si la ville-décharge où Alita débarque au début de l'histoire semble régie par des lois qui relèvent quant à elles de la dystopie, l'évasion en est possible puisqu'il existe encore des paysages agricoles en plein désert et même des oasis de vie naturelle. Dénonciation, proposition, évasion : Alita : Battle Angel admet cette trinité qui en fait une dystopie réussie... et peut donc échapper à mes critiques les plus acharnées.

Alita : Battle Angel, c'est avant tout un personnage - celui de cette adolescente amnésique dont la post-humanité s'impose d'emblée au spectateur, à travers ses yeux trop grands qui transmettent d'autant mieux les émotions. Alita est un personnage démontable : réparée une première puis une deuxième fois et subissant ainsi une transition accélérée de la fin de l'enfance à celle de l'adolescence, elle nous rappelle que l'identité n'est jamais autre chose qu'une conséquence de l'expérience de vie et des choix que l'on fait au cours de celle-ci. Or la tête d'Alita semble vide : si des souvenirs s'imposent parfois à sa conscience, la mémoire procédurale qui lui permet d'être si talentueuse au Motorball et si redoutable au combat reste inexpliquée... si bien qu'Alita doit réapprendre ce qu'elle est et pourquoi Zalem la fascine tant. Si la jeune cyborg semble avoir très vite conscience de ce que ce monde ne tourne pas rond, elle ignore pour autant qu'elle dispose de clés pour le comprendre et qu'elle est peut-être même un outil permettant de le transformer, ce que la scène finale - en forme d'ouverture pour une suite possible mais incertaine compte-tenu des signaux mitigés du box-office - fait mieux que suggérer.

Au fond, le thème le plus important et le plus intéressant dans cette fiction n'est autre que son fonds post-humaniste d'assez bon aloi. Comme Alita franchit en accéléré la frontière entre l'enfance et l'adolescence, l'espèce humaine a pu - avant le conflit ayant consacré Zalem comme l'ultime cité volante - commencer à se défaire de la forme héritée de l'évolution. Le cyborg est un organisme humain monté sur des prothèses mécaniques plus ou moins étendues : si l'intelligence et l'expérience de vie restent humaines, le corps et les aptitudes cessent de l'être, ce qui permet d'envisager une adaptation toujours poussée de l'individu aux tâches qu'il doit accomplir. Sous la férule de Zalem, la logique est poussée encore plus loin : le cyborg est susceptible d'être amélioré sans cesse afin de se faire plus puissant, plus efficace, plus dangereux - mais à la fin, il n'est jamais qu'un outil voire même un avatar que les maîtres de la ville flottante peuvent revêtir à leur guise. Dans cet univers cyberpunk, l'organisme humain se fait donc ressource commercialisable par morceaux : telle est la véritable atrocité à l'oeuvre dans Iron City, contre laquelle Alita - ultime soldate ou peut-être héritière d'une philosophie antagoniste - va aussitôt se confronter. Au 26ème siècle, la question n'est donc pas de savoir à qui l'espèce humaine va céder la place - mais plutôt de savoir si elle a encore son mot à dire quant à son propre destin ; et c'est Alita - très humaine au fond malgré la profondeur de sa robotisation - qui la pose d'emblée. C'est peut-être dans ce pied de nez que se trouve la puissance de ce film - celle qui, en effet, donne envie d'aller lire Gunnm...

Commentaires

TmbM a dit…
Pas vu le film, pas sûr d'aller le voir. Mais, moi qui suis pourtant peu lecteur de manga, j'ai lu et relu cette série qui est tout simplement géniale, solide graphiquement, dynamique et intelligente. Je t'encourage vivement à te plonger dedans.
Anudar a dit…
Je te remercie pour tes encouragements : ma curiosité a été éveillée par ce film... et il est possible que "Gunnm" passe dans mes chroniques tôt ou tard !