Alice au Pays des Merveilles (1949)

J'aime l'oeuvre de Lewis Carroll depuis l'enfance : je possède en effet une édition intégrale d'Alice au Pays des Merveilles et de De l'autre Côté du Miroir, les deux contes dont l'intrigue et le décor sont posés par deux des jeux combinatoires les plus célèbres - le jeu de cartes et le jeu d'échecs. Même si pour une raison ou pour une autre j'ai toujours préféré De l'autre Côté du Miroir, le premier volet des étonnants voyages d'Alice est une oeuvre que j'apprécie beaucoup. J'ignorais tout à fait l'existence de cette adaptation vieille de près de soixante-dix ans (la vache !), et ce fut donc un bonheur de pouvoir la découvrir aux Utopiales 2017...
Résumé :
A Oxford, le jeune révérend Dogson se fait remarquer pour ses passe-temps étonnants : la photographie - ses sujets n'étant autres que les enfants du doyen de l'Université - mais aussi la rédaction sous le pseudonyme de Lewis Carroll de poèmes comiques et peut-être un peu pamphlétaires. Le doyen lui garde pourtant toute son amitié, lui demandant toutefois d'être exemplaire à l'occasion de la visite annoncée de la reine Victoria et du prince-consort Albert. Mais pour Alice, la troisième fille du doyen et l'amie la plus chère du jeune professeur, cette visite promet d'être ennuyeuse : elle va devoir rester confinée dans sa chambre et ne pourra pas rencontrer la reine. Alors que le révérend Dogson la conduit avec ses soeurs pour une promenade en barque en racontant une nouvelle histoire, voilà qu'elle s'endort et se met à rêver d'un lapin en retard qu'elle suit dans son terrier...
On ne présente plus tout à fait l'intrigue de ce premier conte, qui a été adapté si souvent depuis sa première parution qu'il en est devenu presque archétypal. Pour autant que je me souvienne bien de l'aventure qu'Alice va rêver, l'adaptation est ici des plus fidèles, ainsi que des plus sages. Ce qui frappe, c'est bien entendu les choix graphiques - le lapin blanc a en particulier une tête presque inquiétante - ainsi que les effets spéciaux rudimentaires qui, pourtant, parviennent à convaincre et à éveiller un sentiment de merveilleux chez le spectateur. Alice rétrécit, Alice grandit, Alice croise des personnages étonnants avec aussi peu de surprise que dans un rêve. Le caractère onirique du voyage est souligné sans cesse par le caractère naïf des décors aux formes parfois inquiétantes, et par les transformations incessantes qui affectent certaines créatures. Dans le rêve, d'ailleurs, on n'est jamais bien loin de la frontière du cauchemar : Alice tombe, manque de se noyer, croise des ennemis dont certains complotent contre elle, et finit par devoir se défendre au cours d'un procès dont l'enjeu n'est autre que sa propre tête.

Les séquences les plus surprenantes ne sont peut-être pas celles qui se déroulent au Pays des Merveilles mais bel et bien celles qui, tournées en décors réels, se situent dans cette Université d'Oxford immémoriale déjà au beau milieu de cette époque victorienne fantasmée. Les personnages incarnés par des acteurs semblent eux-mêmes archétypaux : figures d'autorité bienveillantes voire amicales, d'autres plus hostiles, et d'autres encore distantes et inquiétantes préfigurent les créatures qu'Alice va rencontrer au Pays des Merveilles. Pour la première fois, j'ai réalisé que l'oeuvre de Carroll n'est pas une simple oeuvre de fantasy : c'est aussi, et surtout, une façon détournée de critiquer l'absurdité du monde adulte et des représentations du pouvoir. La société victorienne guindée en prend pour son grade, avec ses personnages formels jusqu'à la caricature. La reine de coeur n'est jamais qu'un avatar de la reine Victoria dont le règne, si prospère pour l'empire britannique, n'a pas été tout à fait doux et clément pour ses peuples : voilà qui donne un sens tout particulier à son fameux "qu'on lui coupe la tête !". Bravo !

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