Mutafukaz

Il est parfois des OVNIs qui échappent à ma perception : c'est le cas de Mutafukaz, une BD tout à fait déjantée qui, bien que parue depuis des années, s'est toujours trouvé hors de portée de mes radars. Ce n'est que le jour où j'ai été voir le film d'animation qui l'adapte que j'en ai appris l'existence : honte à moi, je suppose ! Quoi qu'il en soit, la présente chronique sera celle du film - en attendant peut-être que viennent celles des albums...
Résumé : 
Angelino vit de petits boulots qu'il ne parvient jamais à garder plus de trois semaines. Il loge dans un meublé minable d'un quartier pourri, en compagnie de son pote Vinz et de l'essaim de cafards qu'il nourrit de céréales. A intervalles régulier, leur pote Willy débarque leur proposer quelque plan foireux histoire d'occuper un peu de leur temps... lequel est long à passer dans une ville aussi dangereuse et sale que Dark Meat City. Suite à un accident de scooter, Angelino est affecté de migraines persistantes et croit avoir des hallucinations : pourquoi l'ombre de certains passants est-elle augmentée de tentacules inquiétants ? Et qui sont ces hommes en noir qui se mettent à le suivre dans une ruelle dégueulasse ?
Mutafukaz, tout d'abord, c'est une ambiance graphique très particulière, où les personnages d'apparence humaine côtoient des créatures humanoïdes sans que l'association soit choquante. Angelino - avec sa tête en forme de boule noire - et Vinz - dont la tête est un crâne sans mâchoire inférieure mais décoré d'une flamme qui s'éteint lorsqu'il s'évanouit - en sont les prototypes : il s'agit d'accepter l'existence de ces personnages qui, par ailleurs, s'expriment de façon intelligible et sensée, ont des difficultés à payer leur loyer, font profil bas devant les caïds et les voisins trop costauds qui n'aiment pas le bruit... Autour d'eux, Dark Meat City est une caricature de ville des Etats-Unis au début du XXIème siècle : torride - on est en "nouvelle Californie" - crasseuse, gangrenée par le crime et les gangs, où chacun vit à la débrouille tandis qu'une police presque absente assure un semblant d'ordre. Sur les écrans de télé hors d'âge, un Président grotesque bêle son programme qui tient un point : il faut lutter contre le terrorisme, alors dans les rues ce sont les armes qui font la loi, et que la violence des services spéciaux en remontre à celle des gangs - que ce soit en termes de gros flingues ou en termes de citations de Shakespeare... Dans cet univers cruel et déjanté, Angelino et ses potes se trouvent tout en bas du bas de l'échelle : trop insignifiants pour intéresser l'Etat comme les gangs, ils disposent a priori d'une fenêtre pour exister - à condition de se contenter d'une vie minable.

Ce n'est pas d'une velléité d'ascension sociale que va sortir l'argument de l'histoire : Angelino subit un accident de la route qui éveille de très vieux souvenirs, ou plutôt qui réveille des aptitudes étonnantes liées à son hérédité. C'est que ce monde, s'il est bien pourri, doit en partie au moins son pourrissement à la présence discrète d'entités extraterrestres mal définies : entre huile noire tout droit sortie des X-Files et symbiote extraterrestre venu de Spiderman, ces êtres apprécient la touffeur du climat néo-californien et se dissimulent derrière les apparences de la respectabilité. Il se trouve que leur plan est celui de la conquête et que celle-ci est bien engagée : pour une raison ou pour une autre, Angelino en sait déjà trop et représente un danger pour leur stratégie, et il faut par conséquent l'éliminer. De cette intrigue extraterrestre, il sera difficile de comprendre beaucoup plus car ce n'est pas le réel propos de Mutafukaz, comme le montre la rareté des séquences où une bande de catcheurs mexicains planifient l'élimination des envahisseurs : l'objet de ce film déjanté - qui adapte plusieurs albums de la BD portant le même nom, au dire des amis qui m'ont accompagné au cinéma ce jour-là - c'est bel et bien une performance graphique mais aussi de world-building. Mutafukaz, avant tout, c'est une histoire avec des gros guns, et avec des explosions, et avec du sang et des tripes qui giclent dans tous les sens, et avec des personnages à tel point décalés que t'y crois pas. La clarté du propos et sa vraisemblance, dans ce contexte, peuvent être optionnelles sans que le public ne le prenne pour un (trop) gros fuck : fallait-il attendre autre chose de ce qui est somme toute un Kill Bill en BD ?

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