Playground

A nouveau un livre offert par son éditeur, venu de Suède où vit l'auteur bicéphale qui l'a écrit - Lars Kepler étant le nom de plume d'Alexandra Coelho Ahndoril et d'Alexander Ahndoril. Ce livre ayant été en souffrance dans ma PàL depuis... un certain temps, il était temps pour moi d'en assurer la chronique !
Résumé : 
Jasmine, soldate engagée par l'ONU au Kosovo, subit un jour un arrêt cardiaque suite à une blessure. Malgré tout réanimée, elle revient à la vie en proclamant avoir visité une ville portuaire sous le contrôle de gangs, d'où les morts prennent le bateau vers l'après-vie, mais où patientent ceux qui - peut-être - ont encore un peu de leur temps à passer ici-bas. Son récit est assez construit et inquiétant pour que ses médecins et sa famille croient à une psychose... Quelques années plus tard, Jasmine devenue mère est victime un grave accident qui la renvoie dans la ville portuaire - et lorsqu'elle parvient à s'en échapper, c'est pour découvrir que son fils Dante va devoir subir une opération à coeur arrêté. Or, elle sait qu'un enfant aussi jeune que son fils n'a aucune chance de ne pas se faire voler le précieux visa de retour à la vie qu'il recevra aussitôt arrivé à la ville portuaire... Alors, elle va entreprendre une fois de plus le dangereux voyage vers l'après-vie, afin de guider son fils. Quel que puisse en être le prix...
Il y a un peu plus de trois ans, je chroniquais Le Monde de la Fin dont le thème se rapprochait de celui de Playground : une vie post-mortem disposant de règles que les défunts doivent découvrir et auxquelles ils doivent s'adapter, des intrigues dans cette vie après la vie qui prolongent celles de la vie avant la mort, et les sentiments qui unissent les êtres par-delà le "grand bond vers l'inconnu". En revanche, là où Le Monde de la Fin se caractérisait par son ton léger, chargé d'un humour faisant parfois penser à celui d'un Eduardo Mendoza, Playground se révèle beaucoup plus sérieux et même sinistre. La ville portuaire à l'ambiance crépusculaire - si l'on peut qualifier ainsi l'état d'un ciel qui n'est pas diurne et qui n'est pas nocturne pour autant - est un lieu hostile que les nouveaux défunts doivent traverser pour arriver aux bateaux qui les emmènent plus loin... et où ils peuvent s'installer, par exemple pour attendre un hypothétique retour à la vie. Véritable "entre-deux" où tout reste encore possible, et où le temps est comprimé, la ville portuaire prend des allures de purgatoire où l'on mène une vie semblable à celle d'ici-bas... mais où il est possible de souffrir, de mourir, et de s'y faire escroquer. L'Etat n'y existe pas, ou plus, et les institutions qui subsistent au sein de la ville semblent plus favorables aux puissants qu'aux individus dont elles ont la charge.

A quoi peut ressembler une civilisation post-mortem ? Comment peut-on même l'envisager ? Dans ce monde intermédiaire, certains nouveaux arrivants disposent encore des bagages qui les accompagnaient au moment de leur décès : des objets du quotidien, de la nourriture, mais aussi des armes, qui finissent par prendre une certaine valeur marchande... mais ce qui intéresse pour de vrai les maîtres de la ville, ce sont les précieux visas des morts en suspens : l'autorisation de revenir à la vie est associée au visa et non à l'individu lui-même, ce qui en rend le commerce possible, et garantit donc une forme d'immortalité aux défunts assez astucieux pour extorquer le visa d'une personne fragile - telle que par exemple un enfant. Répugnante et cruelle escroquerie dont l'enjeu n'est autre que la vie dans un corps tout neuf : certains défunts sont des prédateurs et, par conséquent, l'au-delà est capitaliste ! Pour ceux qui refusent de se plier aux règlements alambiqués de la ville portuaire, il reste pourtant une échappatoire : le playground, c'est-à-dire une procédure d'exception venue du fond des âges, qui offre aux plaignants une dernière chance de sauvegarder leurs droits. Quand la justice fait défaut, il ne reste plus que la révolte, et c'est la voie que Jasmine prend la décision d'arpenter. Le livre se met dès lors à ressembler à un Battle Royale post-mortem, à moins qu'il ne s'agisse d'un Hunger Games : cela pète, cela brûle, cela crie, cela saigne et cela meurt dans toutes les directions et sans espoir de rémission, prenant même des accents de vendetta dans les dernières pages du combat.

Sans innover dans ses formes, Playground propose donc un certain nombre de bonnes idées, qu'il accompagne d'une dose raisonnable d'indignation, de bons sentiments et de baston : a-t-on toujours besoin de plus que ceci ?

Commentaires

XL a dit…
ta chronique pourrait me tenter, mais la couverture me repousse sans merci
Anudar a dit…
Je t'avoue n'en être pas très fan moi non plus...
Miroirs SF a dit…
Pour ma part, la couverture ne me déplaisait pas ^^. En revanche c'est le contenu du bouquin qui m'effraie un peu : l'idée de base me plaît bien, mais que ça tourne en "Battle Royale" me convient beaucoup moins.
Anudar a dit…
Je pense qu'il mérite malgré tout sa chance. A toi de voir !
Miroirs SF a dit…
On verra. Il m'arrive de changer d'avis ^^, en lisant plusieurs chroniques ou via des cafés littéraires. A+