Que passe l'hiver

Un peu de fantasy à tendance hivernale en ce mois de février plus glacial qu'il y paraît : c'était de bon ton, reste à savoir si c'était une bonne idée...
Résumé : 
Stig, jeune seigneur du clan des Feyren, est le cadet voué à rester dans l'ombre d'Ewald, son frère aîné - d'autant plus qu'il est affligé d'un pied bot et du désamour de son père. Les trois seigneurs, accompagnés par leurs familiers - maître d'armes, barde, herboriste, prophétesse - et de quelques soldats se rendent au Wegg, là où les attendent les chefs des trois autres clans et surtout le roi de l'hiver, l'interlocuteur privilégié du dieu sombre Urian dans sa résidence chthonienne et, par conséquent, son représentant au sein de la race des hommes. En cette époque obscure, les clans du nord, du sud, de l'est et de l'ouest viennent rendre hommage au roi tous les ans, lors de la fête du solstice d'hiver, et pour Stig c'est la première fois qu'il entreprend ce long voyage... Le destin, pourtant, va se mêler des affaires humaines. Le dieu sombre est-il bon, ou est-il mauvais ? Et ceux qui rêvent peut-être de renverser l'ordre établi, quels crimes sont-ils disposés à commettre pour atteindre leurs fins ?
J'appelle volontiers fantasy hivernale ce sous-genre qui conduit son lecteur dans des paysages enneigés, qu'il est tentant d'interpréter comme ceux d'un âge glaciaire prolongé jusqu'au milieu du Haut Moyen-Âge. Que nous reste-t-il à nous, hommes du XXIème siècle, des dieux, des épopées et des mythes qui furent ceux de nos lointains ancêtres d'avant l'écriture ? Peu de choses concrètes hormis leur art rupestre dont nous avons peut-être perdu toutes les clés de lecture... et peut-être aussi les souvenirs ataviques de la mégafaune, ainsi que ceux d'un monde spirituel que l'on imagine volontiers riche et vivant dans l'expérience du présent de chacun. C'est un peu à ceci que ressemble cette Clairière qu'imagine David Bry dans Que passe l'hiver : un monde que l'on perçoit comme arriéré, comme différent du nôtre au point d'en être étrange, et pourtant comme crédible au sens où, peut-être, il partage avec le nôtre un ancêtre commun puisque son mythe de la création n'est pas sans éveiller ceux que nous portons en nous bien qu'ils aient été à moitié oubliés.

Dans cette froide Clairière, l'auteur promène des personnages dont l'originalité ne se résume pas à leurs pouvoirs surnaturels : l'intrusion dans cette réalité de quelques formes de magie - dont l'une au moins est héréditaire et donc explicable par la génétique... et dont l'autre se transmet aussi, mais par le jeu de l'apprentissage - ne masque pas le fait que plusieurs des protagonistes sont affectés de handicaps physiques ou psychologiques assez peu fréquents dans mon expérience de la fantasy. Le pied-bot de Stig, par exemple, est compensé par sa capacité à se changer en corbeau - les chefs de son clan étant capables de se transformer en un animal peut-être totémique. D'autres portent les séquelles d'un lourd passé voire même d'une renaissance contrariée : jamais David Bry ne recule devant l'opportunité de malmener l'un ou l'autre d'entre eux, la fête du solstice finissant par ressembler à une partie de massacre. C'est qu'au Wegg ainsi qu'à Westeros, le jeu des trônes réclame de nombreuses victimes...

Un risque pesait donc sur ce livre : celui de ressembler d'un peu trop près au fameux Trône de Fer de Georges R.R. Martin - et il faut dire que les points de convergence, dès le départ, s'annonçaient nombreux entre les deux oeuvres. L'hiver, une contrée pétrie de légendes et de magie, des monstres dont tous ne sont pas venus d'autres dimensions et une fête qui prend une tournure sinistre... Et pourtant, ce qui intéresse David Bry ce n'est pas - comme c'est le cas pour Martin - l'opportunité de raconter le retour de la magie et la réalisation des anciennes prophéties. Le roi de l'hiver, dans ce livre, n'est jamais que le gardien des traditions immémoriales, celui qui leur donne chair et qui garantit l'équilibre du monde selon le culte ancien. Ses opposants cherchent à libérer les Clans de l'influence spirituelle du roi de l'hiver et donc de son maître, le dieu sombre Urian : ce qui est en question ici, c'est donc rien de moins qu'un changement de culte - ou peut-être même l'extinction de tous les cultes. Matérialistes, les chefs des Clans impliqués dans le complot le sont ; et Stig l'idéaliste est bel et bien promis, quoi qu'il arrive, à être la dernière de leurs victimes. La fantasy est belle quand elle parvient en si peu de temps fictionnel à délivrer pareille leçon : merci.

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