Les Affamés

Offert par son éditeur, voici ma chronique d'un premier roman jeune public ouvrant une trilogie à saveur - à mon avis - science-fantasy.
Résumé : 
La Terre se meurt. Depuis des générations, la vie s'y fait de plus en plus difficile et le monde se change en désert stérile. Même si les anciens pays et les cultures anciennes s'y maintiennent encore pour le moment, la fin est proche : déjà, les Affamés traversent les continents dans l'espoir peut-être illusoire de passer l'une des Portes censées conduire aux Six Mondes. Voyage sans retour - si bien que certains doutent de la réalité des Six Mondes - et dangereux à tout point de vue : pour beaucoup, la mort sera au bout du chemin... Tupà vit à proximité de la frontière triple entre l'Argentine, le Brésil et le Paraguay : il a grandi parmi les derniers indiens Guaranis sans pour autant être l'un d'entre eux, et mène une vive de petits trafics sans trop s'interroger sur son avenir. Ekian mène une vie de nomade : elle a été élevée par des habitants des lointaines montagnes d'Himalaya, et se trouve à présent en Afrique du Nord, conduite par son destin sur des routes pour elles ancestrales. Ashoka est un des serviteurs du Roi de Bénarès, qui détient le monopole de la Flamme Sacrée indispensable aux crémations, à une époque où les bûchers funéraires se multiplient, et il s'échappe toutes les fois qu'il le peut pour participer à la lutte traditionnelle, dont l'arène est le seul endroit de Bénarès où s'estompent les frontières entre castes. Tous trois sont des Transplantés : quelqu'un, pour une raison inconnue, a choisi de manipuler leur passé. Ont-ils un rôle à jouer dans ce monde condamné ? Sont-ils des pions dans le jeu de l'Observateur... ou bien sont-ils au contraire des joueurs qui s'ignorent ?
Les habitués de ce blog savent à quel point les univers post-apocalyptiques me déplaisent. Post-a-trop, dystopire et caetera : depuis quelques années, le goût morbide de certains auteurs pour les "mondes noirs" pollue à mon sens les littératures de l'imaginaire, au détriment de la nécessaire réinvention de l'avenir. La SF a été le plus souvent une littérature de progrès, une littérature d'espoir, et il devient pour moi urgent qu'elle le redevienne. Cette précaution étant prise, le positionnement du premier tome de La sublime Communauté en science-fantasy dystopique m'a semblé assez original pour mériter que je fasse une entorse à mon régime - les dystopies, c'est mauvais pour ma santé. Lecture faite, il est clair que j'aurais eu tort de m'abstenir. Le monde va très mal dans Les Affamés : animaux et végétaux ont presque disparu - à tel point que l'on se demande parfois ce que mangent les protagonistes... enfin, non, par moment on a une idée de ce qu'ils peuvent manger quand y'a plus rien à croûter... ah, je vois qu'il y en a un qui a compris là-bas ! - et la chose ne fait que s'aggraver. De ce qu'il a pu se produire - conflit nucléaire ? catastrophe climatique ? - on ne saura rien, et ce n'est d'ailleurs pas le propos de l'auteure. Du passé lointain où les choses allaient mieux, il ne reste plus grand chose, sinon des souvenirs indirects - les générations les plus anciennes dans ce livre ayant elles-même eu à connaître un monde moins hospitalier que le nôtre - des fragments de l'organisation sociale historique - forces armées, frontières et monnaie - des artefacts évoquant une technologie plus avancée que celle que nous connaissons - mais aussi et surtout un fonds culturel intact, riche... et capable de prendre corps.

La culture, c'est ce qui reste lorsque l'on a tout oublié, à ce qu'il paraît : sur une Terre où les jours de l'espèce humaine sont comptés, où les ressources alimentaires sont en train de disparaître et où le rêve des Affamés n'est autre que celui de l'exil, malgré tous les dangers que le voyage implique, la dernière des richesses est encore la ressource de l'imaginaire qui, dans le cas des populations nomades que sont les Touaregs et les Guaranis, remonte peut-être à des idées pensées pour la première fois il y a des dizaines de milliers d'années. Terreau fertile pour une histoire de la fin des temps : quand le monde se fait hostile, on se tourne plus volontiers vers l'imagination pour s'en inventer un autre. C'est ce que font les Affamés, à leur façon, en cherchant à s'échapper à travers les Portes ; c'est ce que font les Transplantés, bon gré mal gré, en découvrant les rôles archétypaux qu'ils vont devoir tenir dans le drame qui se noue ; c'est ce que font aussi leurs antagonistes, en s'appuyant sur des mythes afin de découvrir ceux qui, peut-être, sont en mesure de mettre à mal leurs plans mystérieux. Malgré la coloration post-apocalyptique de ce premier roman, il m'est impossible d'y voir la marque d'une dystopie : un monde où l'imaginaire n'est en rien banni, et où le quotidien entame un dialogue avec les mythes ne peut à mon sens en être une. Bien sûr, Les Affamés n'est pas tout à fait une partie de plaisir pour son lecteur : parfois cruel avec ses personnages, dur et sans concessions quand on en vient au futur qu'il promet, il ne s'agit pas d'un roman à offrir à un jeune lecteur impressionnable... Et pourtant, ce premier tome lui apprendra toute la puissance de l'imaginaire et des idées. N'est-ce pas la plus haute fonction d'un roman d'imagination ?

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