Valérian et la Cité des mille Planètes
Je n'ai jamais parlé ici pour de vrai de Valérian et Laureline, la série de BD signée par Christin et Mézières : je l'ai découverte quand j'étais gosse - dix ans - mais je ne me suis lancé dedans pour de vrai qu'un peu plus tard - quand j'en avais quatorze. A l'époque, les auteurs avaient déjà bien entamé le deuxième grand cycle de cette série - celui qui suit Les Foudres d'Hypsis - et, pour une raison ou pour une autre, j'étais moins convaincu si bien que j'en ai suivi les publications d'un oeil plutôt distrait, c'est-à-dire, en librairie... Sans tout à fait égaler dans mon imaginaire personnel les marqueurs incontournables que sont Yoko Tsuno et L'Incal, je reconnais en même temps que j'éprouve toujours beaucoup de plaisir à lire et à relire un vieux Valérian et Laureline... C'est pourquoi l'annonce d'une adaptation au cinéma n'avait pas été sans éveiller mon intérêt.
J'ai eu la surprise, et même le déplaisir, de voir au fil des mois qui ont précédé la sortie du film (et leurs teasers de rigueur) certaines personnes passer un peu trop de temps à dire en long, en large, et en travers tout le mal que par avance elles pensaient de ce film, sans même l'avoir encore vu, et sur la seule foi de la mention qui suit son titre sur son affiche : "un film de Luc Besson"... Celui-ci serait en effet coupable, aux yeux de certains, d'avoir "trahi sa famille" (celle de l'imaginaire) en travaillant sur des Taken et autres Taxi. D'autres lui reprochent aussi Lucy qui serait, si j'ai bien compris, "un affront à l'intelligence et à la SF". De l'oeuvre de Luc Besson je ne connais en réalité pas grand-chose : je n'ai jamais compris pourquoi tant de spectateurs de ma génération parlaient du Grand Bleu avec des paillettes dans les yeux - le voir une seule fois m'a suffi... mais, c'est vrai, je n'aime pas la mer ; si j'avais ri à gorge déployée devant le premier Taxi, je n'en ai pas vu la suite immédiate et le troisième laisse dans ma mémoire un souvenir de farce lourdingue ; enfin, j'avais évoqué l'année dernière Le Cinquième Elément, qui reste pour moi l'une de mes énormes claques en SF au cinéma, qui reste aussi associé à un excellent souvenir de soirée passée entre amis et qui m'avait donné par moments l'impression d'être devant une adaptation de L'Incal... Aller voir Valérian et la Cité des mille Planètes était donc pour moi tout à fait naturel : au-delà du pervers désir de pouvoir le cas échéant contredire ceux qui savent sans avoir vu, je me devais de satisfaire mon envie de découvrir un autre Valérian que celui que je connais depuis bientôt trente ans...
Résumé :
Alpha est une station spatiale inaugurée par l'espèce humaine, à laquelle d'autres espèces intelligentes ont rajouté au fil du temps leurs propres compartiments et vaisseaux. Devenue gigantesque, Alpha doit quitter l'orbite terrestre et prendre l'espace, au moment même où un phénomène inquiétant s'amorce en son coeur, et qui incite le gouvernement terrien à en restreindre l'accès... C'est ce que vont découvrir Valérian et Laureline, agents terriens chevronnés, qui après une mission mouvementée à Big Market ramènent sur Alpha un animal provenant de la planète Mül détruite trente ans plus tôt. L'affaire se complique lorsque des extraterrestres d'une espèce inconnue forcent le passage et viennent capturer au coeur même de la section humaine d'Alpha l'une des huiles du gouvernement ! Valérian et Laureline vont devoir se séparer pour mener leur enquête : soutenus par des alliés souvent inattendus, ils vont mettre au jour une vilaine conspiration qui pourrait même impliquer les plus hauts niveaux du gouvernement terrien. La belle utopie d'Alpha serait-elle menacée ? Et si la suprématie de la Terre était bâtie... sur un odieux mensonge ?
Comme toujours en ce genre de circonstances, il conviendra d'évacuer au plus vite le passage obligé... celui de la comparaison entre l'adaptation et l'oeuvre originale. Valérian et la Cité des mille Planètes offre un contexte historique fort différent de celui de Valérian et Laureline, même si les deux semblent trouver un point de convergence : exit ici le cataclysme de La Cité des Eaux mouvantes, second album de la série BD, où l'on apprenait que la Terre du futur de laquelle provient Valérian est issue d'une catastrophe atomique - peut-être une guerre nucléaire ; au lieu de cela, le contexte futur du film semble provenir d'une marche continue vers le progrès spatial, depuis la poignée de main américano-soviétique en plein espace jusqu'au premier contact extraterrestre et après... Le cataclysme relaté dans La Cité des Eaux mouvantes - que les auteurs de la BD avaient eu le culot d'annoncer pour un futur proche, à vingt ans de distance ! - constituait un marqueur puissant des quinze premiers albums de la série : avoir choisi, non pas de le passer sous silence mais bel et bien de l'éliminer, me semble une façon pour les scénaristes d'éviter d'enrichir le bien trop riche fonds post-apocalyptique, et je ne peux qu'applaudir devant ce choix ! Le titre du film, par contre, lorgne un peu trop vers l'un des albums les plus fascinants du premier cycle de Valérian et Laureline pour ne pas éveiller une attente et en fin de compte une certaine déception : j'ai longtemps cru que l'album qui servirait de source principale à l'adaptation ne serait autre que L'Empire des mille Planètes, le troisième tome de la série, où Valérian et Laureline explorent incognito un système stellaire soumis à la tyrannie d'une théocratie hostile à la Terre ; mais en fin de compte, c'est plutôt L'Ambassadeur des Ombres qui constitue cette source, la station Point Central étant renommée ici Alpha - c'est sans doute plus porteur. Dernière divergence possible : sauf erreur, le service spatio-temporel - et donc le voyage dans le temps - n'est jamais cité de tout le film. Valérian et Laureline seraient-ils donc non plus des agents spatio-temporels mais bel et bien de simples agents spatiaux ?
Cette comparaison étant bouclée, il est à présent possible d'apprécier Valérian et la Cité des mille Planètes pour ce qu'il est, à savoir un film où les deux as des services secrets terriens vont devoir démêler une situation inextricable : relations tendues entre espèces intelligentes, petits secrets et gros mensonges du gouvernement terrien, utopies multiculturelles (commerçante sur Big Market, politique sur Alpha) tournant à l'absurde parfois et peut-être même au cauchemar mais témoignant malgré tout d'une communauté de pensée entre des êtres aux formes bien différentes. Valérian et Laureline sont jeunes dans cette histoire, de la même façon qu'ils sont sans âge dans la BD : l'Univers est si vaste qu'ils ne peuvent, malgré toute leur bonne volonté, en connaître l'ensemble des secrets ou en détecter tous les non-dits. L'exploration d'Alpha constitue à ce titre, pour eux comme pour le spectateur, un voyage presque initiatique. La chose n'est pas exempte de sa dose de bons sentiments - maniés à la truelle voire à la pelleteuse, de celle de courses-poursuites et de celle d'humour parfois potache... mais ceci aussi, somme toute, c'est Valérian et Laureline - dont deux albums au moins sont des courses-poursuites ! Et si Valérian a toujours été plus volontiers fidèle que Laureline a la Terre du futur dans la série de BD, c'est le cas ici aussi, où l'agent hésite par moments entre légalisme et légitimité, entre sa loyauté à l'égard de sa hiérarchie et son empathie pour l'autre, quelle que soit sa forme. Si la conclusion du film est, disons, attendue - on est chez Besson, après tout - elle ne contredit pas l'ensemble du propos qui est, je trouve, d'un réalisme optimiste d'assez bon aloi par les temps qui courent. Le spectacle est beau, scintillant comme celui du Cinquième Elément, et si le message de Valérian et la Cité des mille Planètes n'est au fond pas différent de celui de son aîné de vingt ans, on pourra bel et bien accepter de le voir apparaître en filigrane d'un tableau fort différent : aux profondeurs vertigineuses d'un New York futur se substituent l'infini de l'espace et la variété des intelligences extraterrestres.
Luc Besson rêvait sans nul doute d'adapter Valérian et Laureline depuis des années : il lui aura fallu en tout cas vingt ans pour faire un remake du Cinquième Elément, diront les esprits chagrins. En ce qui me concerne, je suis heureux de me dire que, peut-être, les adolescents des années 10 auront envie grâce à ce film de découvrir une BD vieille de quarante ans... et auront de toute façon eu l'occasion de bénéficier d'une claque visuelle comparable à celle qui m'avait frappé en 1997. Au fond, n'est-ce pas le plus important ?
Lire aussi l'avis truculent d'Odieux Connard... et ne surtout pas manquer la vidéo finale parce qu'elle vaut le détour !
Commentaires