L'Académie de l'Ether

Johan Heliot est déjà passé par ici : même si je n'ai jamais eu l'occasion de chroniquer les livres par lesquels je suis entré dans son oeuvre - et je n'ai en fait même pas encore lu le dernier tome de sa Trilogie de la Lune... - j'apprécie toujours, de temps en temps, de goûter au plaisir d'un roman signé Heliot ! Celui-ci, qui promettait de découvrir une uchronie s'intéressant au début du règne de Louis XIV - ce qui en justifie le titre - végétait sur ma PàL depuis plusieurs mois...

Résumé : 
En 1653, la guerre civile appauvrit la France depuis trop d'années : même si Louis XIV commence à entrevoir l'issue de la Fronde, le Grand Condé continue à entretenir l'agitation et le peuple en pâtit. Dans le Duché de Lorraine, les enfants de la famille Caron devenus orphelins abandonnent leur terre ingrate afin de chercher un toit et une vie plus douce à Paris où leur oncle tient une boutique de libraire et d'imprimeur. Mais l'époque est aux changements : une Unité d'Exploration Conscientisée venue du noyau galactique s'est abîmée en mer et, résolue à comprendre les raisons de son accident incompréhensible, s'emploie ni plus ni moins à transformer la France du XVIIème siècle en base industrielle capable d'atteindre l'espace ! Pour les enfants Caron, confrontés aux dangers d'un monde finissant comme à ceux encore mal maîtrisés d'un monde bien trop nouveau, l'apprentissage promet d'être difficile même s'il se fait aux côtés des individus les plus remarquables du Grand Siècle...
Il y a quelques années, j'avais commis ici un article de fond trop court et surtout très mal torché - ce qui ne m'empêchera pas de le lier ici parce que je n'ai jamais eu peur du ridicule - où j'essayais de lister les types d'uchronies selon divers critères de classification. Si je reprends la nomenclature que j'avais alors esquissée, L'Académie de l'Ether se rangerait alors dans la catégorie des uchronies continues à hypothèse transcendante : ce qui justifie le point de divergence adopté ici par Johan Heliot, c'est l'intervention dans le flux historique d'une force extérieure à la volonté humaine, en l'occurrence une intelligence extraterrestre - en partie au moins artificielle - piégée sur Terre à la suite d'un accident. Sans surprise, les décisions prises par l'UEC pour garantir sa réparation et son retour à la maison vont avoir des conséquences considérables sur le destin de l'espèce humaine : on retrouve ici le schéma que Johan Heliot avait déjà utilisé dans la Trilogie de la Lune... Il suffirait d'y substituer Louis XIV à Napoléon III, l'UEC aux Ichkiss et on y serait presque.

L'uchronie et donc la divergence progressent vite à travers le schéma retenu par Johan Heliot : là où la Trilogie de la Lune proposait de commencer par un point d'étape quelques années après l'irruption des Ichkiss et faisait donc visiter un monde en cours de normalisation, l'enjeu de L'Académie de l'Ether est celui de la vitesse à laquelle apparaissent les bouleversements qu'implique le point de divergence. La révolution industrielle se produit en France deux cents ans avant le moment où elle aurait dû se réaliser au Royaume-Uni ; elle s'adresse à une nation divisée par son plus grave conflit depuis le début du règne de Henri IV soixante ans plus tôt, et non à la première superpuissance mondiale ; elle est offerte à un monarque absolu, ambitieux et peut-être même rongé par l'hubris... Le cocktail est en effet détonnant : sans l'intervention de l'UEC, Louis XIV se serait contenté d'offrir à son pays une Académie de la Danse, le monstrueux palais de Versailles et l'horizon de la guerre interminable ; aiguillonné par le désir légitime de l'intelligence extraterrestre de rentrer chez elle, il va lui offrir une Académie de l'Ether, le projet fou de s'arracher au sol et à l'attraction terrestres... et l'horizon de la guerre sans fin. Les merveilles promises par la science qualifiée d'occulte par le roi lui-même prennent très vite l'apparence du cauchemar : les canons "effluviques", qui s'alimentent sans doute à la source inépuisable de l'énergie tellurique, font figure de jouets terrifiants dans des mains animées par une volonté aussi peu responsable que celle de Louis XIV.

Dans ce contexte, l'idée de suivre des individus issus du petit peuple n'est pas mauvaise : l'Histoire ne se fait pas qu'à travers les accès d'hubris des puissants, elle se fait aussi à travers le quotidien des petites gens qui leurs sont contemporains - et si les premiers, de par leur position d'influence, parviennent à orienter certains basculements, ce sont bel et bien les aspirations des seconds qui, parfois, font se réorienter les flux historiques : 1789 n'aurait pas eu lieu s'il n'y avait pas eu au préalable plus d'un siècle de si douloureuse monarchie absolue ; et d'une certaine façon Johan Heliot lui-même témoignait en avoir conscience dans sa Trilogie de la Lune. Ici pourtant, les jeunes protagonistes observateurs de cette nouvelle Histoire en semblent pour ainsi dire détachés : lettrés malgré leur condition misérable, infirmes pour certains sans en être anéantis pour autant, ils semblent moins venus du XVIIème siècle que d'un autre encore à venir pour eux ! De ce très surprenant décalage émerge, pour le lecteur, un véritable sentiment de déception : il est difficile de croire en ces personnages et donc, de faire confiance à leurs expériences de ce monde nouveau qui les meurtrit. En ce sens, L'Académie de l'Ether expose assez mal ce qui promet d'être un univers tentaculaire : quel dommage !

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