Béhémoth

Voici le deuxième tome de la saga steampunk et uchronique de Scott Westerfeld dont j'ai présenté ici le premier tome.
Résumé :
Le Léviathan a subi une étrange réparation : la greffe des moteurs clankers lui a permis de récupérer sa mobilité. A bord, Alek et ses hommes sont dans une position inconfortable : ils savent que leur statut est précaire. L'Autriche-Hongrie n'est pas encore en guerre contre la Grande-Bretagne mais ce n'est qu'une question de semaines et peut-être même de jours... Nul doute alors qu'ils seraient jetés aux fers en tant que prisonniers de guerre, l'aide qu'ils ont apportée à l'équipage britannique aussitôt oubliée. Pour Deryn, qui se cache toujours sous le nom de Dylan, la situation est tout aussi déplaisante : le prince Alek ne lui est pas indifférent et elle se rend compte qu'elle envisage de prendre avec ses devoirs des libertés de plus en plus grandes, confinant presque à la trahison. Tout le monde se dirige vers l'ancienne Constantinople, devenue Istanbul, où les Britanniques vont tenter de racheter la confiance du Sultan ottoman. Sur place, ils trouvent une ville rongée par des factions ennemies... et où l'Allemagne est en train de s'emparer de la réalité du pouvoir. La fièvre révolutionnaire permettra-t-elle au Léviathan d'échapper au canon de Tesla que les Allemands construisent à l'entrée du détroit des Dardanelles ?
Le premier tome de cette saga nous familiarisait avec ses concepts originaux : d'un côté, les civilisations "darwinistes" qui, grâce à la manipulation des "fils de vie" (l'ADN découvert dans cette histoire par Darwin) apprennent à générer des êtres vivants biofabriqués ; de l'autre, les cultures "clankers" orientées quant à elles vers le machinisme, qui considèrent les bioconstructions comme des monstruosités contre-nature. Cette dichotomie se superpose au jeu des alliances historiques bien connues dans le contexte de cette première guerre mondiale uchronique : Triple Entente (France, Grande-Bretagne et Russie) contre Puissances Centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire ottoman). Scott Westerfeld nous propose donc une uchronie à plusieurs niveaux : le premier, le plus évident, est bien entendu le niveau steampunk, lequel n'est pas présent qu'au simple état d'esthétique ; le deuxième, plus original, est celui de l'introduction du concept de guerre idéologique, là où la Première Guerre Mondiale telle que nous la connaissons était avant tout une guerre de nations - voire même une guerre de dynasties régnantes, venue solder les derniers comptes du Congrès de Vienne.

L'oeuvre assume son statut d'oeuvre jeune public avec le personnage central d'Alek, prince-héritier "caché" de l'Autriche-Hongrie, qui associe à un statut précaire certaines décisions plus ou moins dangereuses pour lui et les siens : à travers lui Scott Westerfeld propose un personnage auquel le jeune lecteur est appelé à s'identifier. Cependant, le rang de véritable héros lui est disputé par celui de Deryn, qui dissimule son sexe puis ensuite ses sentiments sous la couverture de Dylan, son homologue masculin. Dissimulation efficace dans l'ensemble - mais supercherie qui n'échappe en fin de compte pas aux regards affûtés de l'un des personnages capitaux. Deryn est, au sens propre de l'expression, un personnage "sous pression" : physique tout d'abord, car on lui confie une mission dangereuse, personnelle ensuite et surtout émotionnelle. Une pression qui commence à faire se fissurer sa coquille : de plus en plus souvent sa voix s'échappe vers les aigus et elle envisage de confier son secret au prince Alek. La romance qui s'annonce (peut-être ?) entre les deux personnages m'apparaît un peu comme un passage obligé dans le cadre d'un roman jeune public contemporain mais j'avoue que j'aimerais bien voir l'auteur nous mener en bateau. Le troisième tome, à paraître, en décidera.

Ce livre est comme le précédent illustré d'une façon qui n'est pas sans m'évoquer le style "Belle-Epoque". Les personnages y trouvent une véritable personnalité, l'illustrateur étant parvenu en particulier à très bien retranscrire l'ambivalence du comportement de Deryn sous la forme d'une ambiguïté dans ses traits physiques. C'est donc un beau livre, très agréable à lire, et qui devrait faire la joie de plus d'un jeune lecteur.

Livre lu en lecture commune sur le Cercle d'Atuan.

Voir aussi la chronique d'Endea.

Commentaires

Guillmot a dit…
J'ai lu le tome 1 mais pas encore eu le temps de me plonger dans la suite !
Anudar a dit…
C'est du Scott Westerfeld : c'est donc bien foutu et entraînant !
Endea a dit…
C'est un beau billet en tout cas qui analyse bien le côté ambiguë de Déryn. J'ai hâte de savoir aussi ce qu'il en sera de ses relations (ou non ?) avec Alek.
J'ai rajouté ton lien à mon billet ^^
Anudar a dit…
Je me demande si (j'espère que...) Scott Westerfeld va nous réserver une belle révélation pour le dernier volet de cette trilogie. Voir Deryn tomber dans les bras de "son prince" me paraît un peu trop évident. Trop attendu, aussi : "Harry Potter" est passé par là...
Vert a dit…
C'est marrant comment finalement on en revient à pronostiquer uniquement sur la romance (bon en même temps l'issue historique, on la connait plus ou moins ^^). J'avoue ne pas trop savoir à quoi m'attendre, mais l'auteur est quand même assez adepte des fins heureuses de ce côté, de mémoire...