Goliath

J'ai eu l'occasion de parler ici de la Saga Léviathan de Scott Westerfeld. Cet univers, uchronique et steampunk, ramène le lecteur à l'époque d'une Première Guerre Mondiale où les Alliés disposeraient d'engins de guerre biofabriqués (suite à la découverte des propriétés de l'ADN par Charles Darwin) et où les Puissances Centrales auraient, pour mieux résister, produit de redoutables marcheurs de combat, les mécanopodes...
Résumé : 
A Istanbul, le Léviathan et son équipage ont été les adjuvants de la révolution qui a fait de l'Empire ottoman une République et préparé sa séparation d'avec les Clankers. L'Allemagne doit donc faire face à la disparition d'un allié tandis que l'Autriche-Hongrie semble sur le point de succomber aux ours de guerre de la Russie tsariste. Pourtant, la guerre est loin d'être terminée : l'Amirauté britannique envoie le Léviathan bien loin du théâtre des opérations européennes, vers l'Est et la Sibérie, là où les attend une étrange mission secrète... Sur le site de la Toungouska, l'inquiétant ingénieur Tesla - clanker passé au service du darwinisme - prétend avoir mis au point une arme nouvelle qui permettrait de rayer Berlin de la carte ! Pour Alek, brandir une telle menace mettrait fin à la guerre et contraindrait les clankers à reconnaître son rang impérial. Pour Deryn, en revanche, il s'agit d'une monstrueuse aberration qu'elle ne saurait cautionner... Pourra-t-elle faire entendre raison au prince autrichien alors que celui-ci ne sait pas encore qu'elle est une fille ?
Le dernier épisode en date avait été l'occasion, pour l'auteur, de commencer à faire sauter les verrous du secret de Deryn/Dylan, percée à jour par le comte Volger, personnage antipathique et pourtant très central dans cette histoire. En suggérant un triangle amoureux sur la fin de l'épisode, Westerfeld compliquait à loisir la situation de son héroïne. L'ambiance de la Belle-Epoque où les femmes et les filles devaient se satisfaire d'être en retrait des affaires de la société mais aussi et surtout de l'Etat est fort bien rendu : Deryn rêve d'être une aviatrice mais son sexe rend la chose scandaleuse, une situation qui n'est pas sans évoquer celle connue par Adrienne Bolland dans notre propre Histoire. Alors, afin de réaliser son rêve, la voilà qui se travestit en homme : le premier d'une longue série de mensonges qui l'amènent sans cesse à questionner sa loyauté à l'égard des uns et des autres, et ce malgré ses succès à bord du Léviathan. Cette opération se poursuit dans ce tome-ci et Alek finit par découvrir la véritable identité de son ami(e). On ne dira pas que l'on ne s'attendait pas aux développements subséquents : il s'agit d'un roman jeune public et il était sans doute vain d'espérer qu'Alek reste dans l'ignorance ou bien même qu'il complique la situation en développant une attirance amoureuse non pas pour Deryn mais bel et bien pour le personnage de Dylan qu'elle joue à la face du monde... Quoi qu'il en soit, le happy end final apparaît bel et bien attendu et à ce titre, peu satisfaisant.

Mais qu'en est-il de cette couronne impériale qui intrigue le lecteur depuis la couverture ? Le titre princier d'Alek n'est en effet pas qu'un titre de courtoisie et son destin, scellé par une bulle papale, est celui de monter sur le trône de l'Autriche-Hongrie. Voilà qui, passé le détail des mensonges de Deryn, viendrait aussi perturber leurs éventuels projets communs puisque l'empereur austro-hongrois ne saurait épouser une roturière. C'est ici que la Saga touche à l'uchronie car malgré sa haute naissance (il est fils de prince légitime) Alek n'existe pas dans notre propre fil historique. Scott Westerfeld avait par conséquent matière à d'étonnants développements uchroniques : et s'il y avait eu basculement d'alliance et que l'Autriche-Hongrie se soit soudain rangée dans le camp des Alliés ? L'Allemagne aurait alors été contrainte à une défaite bien plus précoce et dont les conséquences auraient été sans doute très différentes. Pourtant, le choix de l'auteur est très différent, comme s'il en était venu à se lasser de ses personnages.

Cette lassitude transparaît même à travers les nouvelles figures introduites dans l'intrigue de la Saga. De nouveaux personnages historiques font leur arrivée, à commencer bien sûr par le fameux Nikola Tesla mais aussi Pancho Villa... Le name-dropping, si souvent satisfaisant quant il s'agit d'uchronie, est utilisé ici à forte dose, bien plus que dans les deux volets précédents, si bien que l'on s'en trouve de moins en moins satisfait. Deux fils d'intrigue différents se chevauchent dans Goliath : c'est tout d'abord celui de l'arme secrète inventée par Tesla grâce à laquelle il prétend pouvoir mettre fin à la guerre, et pour laquelle les Allemands ne vont pas hésiter à déclencher une guerre contre les Etats-Unis ; mais c'est aussi celui du voyage entrepris par le Léviathan qui, après la Sibérie, va obliquer sur le Japon puis traverser le Pacifique en direction de l'Amérique. Les Etats-Unis, dans l'univers de Westerfeld, sont partagés entre le darwinisme et le machinisme puisque le Sud - défait au terme de la Guerre de Sécession - est darwiniste alors que le Nord est quand à lui clanker. Une originalité qui suggère une plus haute complexité de l'univers imaginé par l'auteur, mais que celui-ci n'exploite hélas pas... Que reste-t-il de Goliath, en fin de compte ? Eh bien, fort peu de choses... A trop s'interroger sur les situations personnelles de ses deux jeunes héros, et à trop se reposer sur les loris perspicaces dont la présence in-universe n'est guère justifiée, Westerfeld perd de vue son objectif initial.

Quel gâchis ! Ce n'est pas avec cette saga si décevante sur la fin qu'il tient son Harry Potter...

Lu dans le cadre du Winter Time Travel Saison 3 du RSFBlog.

Commentaires

Lhisbei a dit…
j'ai lu ton billet en diagonale puisque Goliath est une lecture commune de janvier prochain mais je me suis arrêtée à ça "Quel gâchis !" ça promet :/
Anudar a dit…
Eh bien bon courage aux lecteurs, parce que j'ai mis du temps à en venir à bout...
Spocky a dit…
Tout pareil que Lhisbei, pour ne pas me gâcher un livre en lisant un billet alors que je n'ai pas encore lu le livre, je vais souvent à la fin du billet, voir la conclusion, et là je me suis moi aussi arrêtée sur "Quel gâchis" :( C'est pas motivant :(
Guillmot a dit…
Ouch, je suis refroidi. Et pourtant il n'y a pas beaucoup de bouquins en steampunk militaire, donc...
Vert a dit…
J'avais pas lu ton avis avant, je viens de finir le livre et je suis assez d'accord avec toi, la fin est une déception. C'est fort dommage parce que cette série était vraiment sympathique, avec un réel potentiel. Mais je crois que c'est la spécialité de l'auteur, de foirer ses fins xD.
Anudar a dit…
@Spocky : tu l'as lu en fin de compte ?

@Guillaume44 : même question :) !

@Vert : pas sûr, la fin de la saga "Succession" était bien foutue. Par contre je te rejoins si tu parlais de la série "Uglies".