La grande Embrouille

Je n'ai pas encore eu l'occasion ici de chroniquer du Mendoza. L'auteur espagnol, qui s'est illustré en SF humoristique à travers Sans Nouvelles de Gurb, dont je lie sur le champ la chronique enthousiaste du Traqueur Stellaire, est connu pour une quadrilogie policière à tendance loufoque dont les intrigues se déroulent en Espagne, sur une petite quarantaine d'années, quelque part entre la période post-franquiste et la grande crise des années dix. Le personnage principal, un fou à lier pas dangereux mais marrant, est devenu (depuis L'Artiste des Dames) gérant - après maints passages en hôpital psychiatrique - d'un salon de coiffure aussi dégoûtant que minable...
Résumé : 
Cette fois-ci, c'est la crise : même au plus fort de cet Eté brûlant, il n'y a plus un seul client au salon de coiffure, pas même pour venir faire nettoyer ses cheveux imprégnés du mazout récolté lors d'un bain de mer, et son gérant, qui en a connu pourtant d'autres, commence à s'inquiéter. C'est alors qu'à la faveur d'une invitation à un colloque psychiatrique - où il comprend un peu tard qu'il est appelé à jouer le rôle de spécimen médical - il retrouve l'un des amis côtoyés pendant ses années d'internement. Et ça tombe bien, car "le Beau Romulo" a besoin de son aide pour une nouvelle combine... Or, les combines du "Beau Romulo" sont réputé pour être souvent foireuses : pour le gérant d'un salon de coiffure au bord de la faillite, ne vaut-il pas mieux cultiver l'amitié des propriétaires du bazar asiatique d'en face, fussent-ils dotés d'un ancêtre envahissant, plutôt que de suivre un ami qui semble connaître des individus très louches et peut-être même filés de près par les polices anti-terroristes du monde entier ? Entre des comédiens de rue, un swami aussi peu indien que son apparence le laisse soupçonner, une jeune adolescente pas très éveillée, le pognon qui manque et l'intrusion inopinée d'une star de la politique internationale, l'aventure promet d'être insolite et rocambolesque à souhait...
L'univers de ce narrateur fou mais pas tant que ça constitue, à lui seul, une bonne raison de s'intéresser à l'oeuvre de Mendoza. Barcelone y apparaît comme une ville à la saleté organique, volontiers fécale, le système dysfonctionnel des égoûts refluant souvent par des accessoires de plomberie non prévus à cet effet (baignoires et autres cuvettes à shampoing). Ici, la chaleur d'une canicule estivale de niveau déraisonnable vient en plus peser sur le moral du narrateur toujours anonyme, d'autant plus qu'il ne comprend bien sûr rien du tout à l'enquête dans laquelle il se trouve plongé sans même l'avoir voulu. Elle est néanmoins l'occasion pour lui de reprendre contact avec de vieilles connaissances, dont certaines le sont aussi pour le lecteur, et d'autres qui ne le sont pas. Dans ce méli-mélo, chaque personnage semble en fait aussi allumé qu'on peut l'être mais à chaque fois dans une spécialité différente.

Là où les précédents volets de l'histoire visitaient les travers d'une société encore éberluée par la sortie du franquisme puis par le plus fort des années-fric, Mendoza nous amène ici - conséquence logique ? - dans une Espagne en pleine crise financière. C'est la dèche pour tout le monde, à commencer par celui (de monde) que l'on préfixe quart-, et c'est donc en toute logique le règne de la débrouille la plus crasse. A ce jeu, le gérant du salon de coiffure - qui a l'expérience acquise par une longue pratique - va bien sûr jouer, perdre (beaucoup) et gagner (pas trop). En embuscade, de l'autre côté de la rue, se tient le nouveau commerce conquérant, celui du plus grand atelier du monde avec ses babioles à 99 centimes d'euro, dont la durée de vie doit être en relation de proportionnalité inverse avec leur kitscherie.

Le propos de Mendoza m'apparaît plus amer et moins enlevé, ici, que dans les trois volets précédents. Là où il se montrait si brillant pour taper sur les travers d'une Espagne orgueilleuse, le divertissement qu'il nous livre ici m'apparaît moins divertissant, parfois presque poussif, où le narrateur et ses fumisteries s'en tiendraient (presque) au minimum syndical. Il est vrai que l'époque ne prête peut-être guère à rire quand on est espagnol : sans doute faudra-t-il relire La grande Embrouille quand des temps meilleurs seront revenus. Qui sait ?

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