Enfance Clandestine

Vu dans un cinéma de village, voici un film penchant vers la fiction historique à tendance autobiographique.
Résumé : 
Amérique du Sud, fin des années 1970. L'Argentine est le dernier pays du Cône Sud à être "tombé" : le pouvoir militaire s'acharne contre la "subversion", c'est-à-dire, les militants politiques opposés au coup d'Etat de 1976. Les parents de Juan, âgé de onze ans, péronistes de gauche, reviennent de Cuba où ils se sont exilés pendant plusieurs années : ils le font sous une fausse identité, pour continuer la lutte depuis l'intérieur... et emmènent avec eux leurs enfants. Juan va devoir apprendre à dissimuler son accent cubain et surtout à réagir avec naturel à son nouveau prénom, à savoir, Ernesto. Mais n'est-il pas trop jeune pour savoir jouer cette comédie, alors qu'à son âge on essaie avant tout d'apprendre à goûter l'instant présent ? Le militantisme de ses parents ne risque-t-il pas de détruire leur famille ?
Si, en Europe, la décennie 70 fut celle du début de la crise, avec l'apparition du chômage de masse, on ignore souvent qu'en Amérique du Sud elle fut celui des juntes militaires, à commencer par la plus connue, celle du Chili. Moins longue en temps, peut-être moins connue, est la succession des juntes argentines, qui ne rendent cependant rien en férocité à leur voisine occidentale. Dans ce contexte, le retour au pays - et qui plus est, dans un but révolutionnaire ! - des parents de Juan apparaît désespéré. Voir ce retour inclure leurs enfants semble alors friser l'irresponsabilité - pourtant, certains l'ont fait, dans le monde réel, et ce film possède un fond autobiogaphique. Ainsi, Juan doit apprendre à dissimuler son identité mais aussi à fêter son anniversaire à un moment inattendu. Dans le même temps, il a reçu un véritable entraînement puisqu'il sait utiliser une arme... et dispose d'une cache, dans la maison de ses parents, une cache où l'attendent quelques billets pour accompagner sa fuite au cas où tout serait perdu. Cette organisation si méthodique, si paranoïaque, et pourtant si vaine à la fin, donne tout son sens au titre de ce film.

De l'enfance de Juan, que reste-t-il ? Quelques moments de complicité avec les membres de sa famille, dont il va être privé de la plupart bien trop tôt. Quelques photos, réchappées du naufrage on ne sait comment. Quelques instants plus ou moins volés avec une fille de son âge, qui ne connaît pas son vrai nom mais qui a perçu sa différence. Et surtout, une masse de souvenirs peut-être incompréhensibles, évoqués par ces deux séquences animées, l'une au début, l'autre à la fin, dont la rapide succession témoigne bien de l'horreur vécue par le personnage. Ainsi, l'engagement politique parental aura eu des effets désastreux pour Juan - ainsi que pour sa petite soeur : lui au moins était trop jeune pour être éliminé - mais trop vieux pour être adopté de force.

En faisant le choix de ne pas montrer l'horreur, mais de la suggérer par les précautions imposées à Juan, ce film atteint son but avec une excellente précision. Le générique de fin, qui propose une série de photos d'époque, poursuit dans la même lignée : en montrant des instantanés d'une vie familiale réussie, les derniers instants de ce film font le lien entre la fiction et le monde réel. Au sens propre du terme, Juan est un survivant - tout comme le réalisateur d'Enfance Clandestine.

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