Soldat des Brumes tome 1

Lu dans le cadre de l'opération 15 ans, 15 blogs de la collection Lunes d'Encre Denoël, ce livre est à ma connaissance mon premier Gene Wolfe (et en tout cas le premier chroniqué sur ce blog, ça, j'en suis certain).
Résumé : 
Au lendemain de la bataille de Platées, alors que les Perses sont en déroute, un homme s'éveille amnésique. Un médecin l'assiste : il a reçu à la tête une grave blessure et voit désormais ses souvenirs se disperser au passage d'un jour nouveau. L'homme blessé, qui sait écrire, va recevoir un rouleau de parchemin où raconter l'histoire de ses jours qui s'enfuient à chaque nuit, et puisqu'il a oublié jusqu'à son propre nom, les gens l'appelleront désormais Latro. Commence alors pour lui un étrange périple dans une Grèce victorieuse mais en ruines : lui-même n'est pas grec, mais il a sans doute été mercenaire dans l'armée de Xerxès - et les dieux d'Hellas lui font peut-être payer par son amnésie un sacrilège qu'il a maintenant oublié... Ses amis - à commencer par cet homme à la peau noire à qui le médecin l'a confié, mais aussi sa petite esclave Io - lui feront faire les premiers pas dans cette vie intrigante, où chaque jour apporte son lot d'énigmes. Car Latro a perdu la capacité à se souvenir - mais il voit désormais les dieux et les morts qui marchent parmi les vivants...
Il est bien difficile de qualifier Soldats des Brumes. L'étrange héros de cette histoire est affligé d'un trouble de la mémorisation immédiate, un trouble connu de la médecine actuelle comme l'illustre le cas du patient HM : à ce titre, son récit est une série de tableaux dont les liens semblent très lâches. Les personnages apparaissent, disparaissent, reparaissent, meurent, changent de nom voire de sexe, et tout ceci sans que Latro en ressorte changé. Difficile de s'attacher à un personnage qui, sans histoire, finit par sembler sans consistance. Difficile d'entrer dans cette oeuvre mosaïque que j'ai lue à petite gorgées - il faut dire aussi que la période contemporaine se révèle pour moi peu propice aux lectures à bâtons rompus. Et pourtant, Soldat des Brumes finit par interroger. Qui est Latro ? Son vrai nom est-il bien Lucius comme le suggèrent quelques scènes ? Retrouvera-t-il sa mémoire ? Et ses visions, possèdent-elles un caractère de vérité ou bien ne sont-elles qu'autant d'hallucinations dans un monde enténébré par la superstition ?

L'intérêt premier de ce livre, pour moi, c'est encore cette Grèce magnifique et... embrumée dont le personnage transcrit, dans son propre langage et sa propre écriture, tous les noms de lieux. Ainsi Athènes se change-t-elle en Pensée, Sparte en Corde et Argos en Cent-Yeux. A ces jeux de l'auteur sur les noms se superposent d'autres morceaux des plus savoureux. L'exploration de cette Grèce lointaine par Latro lui donne l'occasion d'en visiter plusieurs peuples, y compris de ceux qui se trouvent au-delà des frontières de l'écoumène - tels les Thraces ou même les mythiques Amazones. L'occasion pour lui de nous donner à voir, en filigrane, l'histoire contemporaine de cette petite péninsule désunie même quand il s'agissait de se défendre contre le Grand Roi, mais aussi son histoire passée - avec la succession des peuplements achéens puis doriens - et peut-être même son histoire future : dans cette Grèce embrumée, le barbare n'est jamais loin de la vue, qu'il soit Thrace ou Perse, jamais séparé par plus d'une mer. Et Latro lui-même, qui est peut-être étrusque, peut-être romain, détient - qui sait ! - sans doute certaines clés du destin qui pesait sur la Grèce.

En 479 avant notre ère, les Grecs défirent à Platées la force de l'empire perse, confirmant la grande victoire navale de Salamine. Plus jamais par la suite un monarque oriental n'osa ouvrir de nouvelle guerre, pas même quand les Grecs se déchirèrent dans la ruineuse guerre du Péloponnèse. La Grèce fut alors, pendant un temps, au sommet de sa culture et de sa puissance, grandiose et médiocre à la fois ; l'histoire de Latro, remplie aussi bien de grands hommes que de crapules, nous le montre bien. Témoin à la fois de banquets de penseurs que de sombres rituels, ce héros amnésique nous rappelle, par son égal détachement à ce dont il est témoin, que le monde n'est pas en noir et blanc. Il est gris, comme les brumes qui occupent l'esprit de l'amnésique, gris et incertain comme ses rêves et comme son chemin. Connaîtra-t-il son propre destin ? Il faudra, pour le savoir, se pencher sur le deuxième tome de cette édition intégrale, intitulée Soldat de Sidon. L'avenir dira si je m'y intéresserai !

Commentaires

Guillmot a dit…
J'aimerais bien le lire celui-là. J'aime bien la fantasy antique.
Anudar a dit…
C'est encore disponible, je crois. Si l'on venait à se croiser je te le prêterais bien volontiers.