Cookie Monster

A nouveau un livre de la collection Une Heure-Lumière du Bélial' : celui-ci est signé de Vernor Vinge, un auteur que je n'ai jamais chroniqué mais que j'ai eu le plaisir de lire il y a longtemps avec A Fire upon the Deep, très sympathique space-opera dont la suite végète à l'heure actuelle dans ma pile à lire depuis près de quinze ans (mais cela pourrait changer dans les mois qui viennent). Vernor Vinge s'intéresse à l'intelligence artificielle et à la notion de singularité : ce texte court touche quelque peu à ces concepts qui fleurent bon le cyberpunk.
Résumé : 
Chez LotsaTech, même un poste au service client est un vrai boulot et Dixie Mae s'applique autant qu'elle le peut, malgré la présence de Victor, son agaçant voisin de box : après tout, cela vaut mieux que de perdre son temps à gagner sa vie en faisant griller des hamburgers. Bien sûr, il se peut qu'au bout de quelques milliers de mails reçus elle soit moins motivée à être efficace... mais n'est-ce pas là son premier jour ? Aussi, quand elle reçoit un message qui évoque des éléments que nul autre qu'elle-même ne peut connaître, elle commence par croire à quelque machination très élaborée de Victor... avant de s'engager dans un jeu de piste au terme duquel il se pourrait bien qu'elle fasse une découverte angoissante. Pourquoi donc chacun des individus qu'elle croise au cours de son enquête donne-t-il une réponse différente à la plus simple des questions : quelle est la date courante ?
Bienvenue dans la petite entreprise du professeur Gerry Reich, un spécialiste de sciences cognitives qui a monté une affaire aussi profitable que tentaculaire. Quelques indices, présents assez tôt, permettent au lecteur de comprendre que LotsaTech a inventé de nouvelles formes d'exploitation : tous les employés, du service-client aux responsables informatiques de plus haut niveau en passant par les sous-traitants du gouvernement des Etats-Unis, sont des esclaves qui s'ignorent. Est-il possible d'émuler la conscience humaine à l'intérieur d'une machinerie informatique ? Si l'émulation est assez réussie, la conscience en question peut-elle encore être qualifiée d'humaine ? A-t-elle alors des droits ? Il y a ici une question plus profonde qu'il y paraît car le droit est souvent réécrit suite aux avancées technologiques, lesquelles créent de nouvelles situations imprévues et non couvertes par les lois préexistantes.

Dans ce vide juridique identifié par Gerry Reich, prospère donc une jolie petite entreprise fondée sur l'esclavage. On est ici dans le registre cyberpunk le plus sombre, c'est-à-dire celui qui se dissimule derrière les oripeaux de la coolitude efficace et lumineuse : bien plus terrifiant que celui d'un Matrix, le propos de Cookie Monster sait faire frémir de façon graduelle jusqu'à ce qu'une solution semble se dégager. Il n'y aura pas de libération des esclaves par le fait d'un homme providentiel ou autre élu dans cette histoire : un travail acharné seul permettra, par le jeu des essais et des erreurs, de s'extraire du piège informatique où Gerry Reich a enfermé ses petites mains numériques... On est donc ici loin de la quête mystico-fumiste qui affligeait tant le spectateur de Matrix : la libération des esclaves a toujours été la conséquence d'une lutte acharnée, à l'échelle de générations humaines - et c'est bel et bien la dimension temporelle que Vernor Vinge met en avant ici, somme toute...

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