Noô

J'ai pu lire quelque part que Stefan Wul avait été décrit comme le "météore de la SF française". Connu pour un certain nombre de romans publiés dans les années cinquante, il était ensuite resté silencieux pendant de longues années jusqu'à la publication de Noô à la fin des années 1970, lequel est resté son dernier roman car Wul est décédé dans les années 2000 sans rien avoir écrit de nouveau dans l'intervalle...

On lui doit de magnifiques inventions d'univers. J'ai, comme les visiteurs réguliers de la Grande Bibliothèque le savent, une affection toute particulière pour son roman L'Orphelin de Perdide, adapté au cinéma par René Laloux sous le titre Les Maîtres du Temps. C'est un roman qui me semble emblématique du "premier Wul", celui des années 1950, où ses personnages visitent des mondes différents, fascinants et hostiles et se heurtent à des périls bien définis : animaux extraterrestres dangereux, intelligences étrangères menaçantes et médiocrité de l'âme humaine. Je me suis rendu compte que j'ai lu, somme toute, la plupart des romans du "premier Wul" au fil des ans sans plan bien défini. Comme pas mal de monde, j'ai lu Niourk au début de l'adolescence. Plus tard, j'ai lu L'Orphelin de Perdide et Oms en série (avant d'en voir l'adaptation par René Laloux sous le titre La Planète Sauvage). Enfin j'ai découvert La Peur géante et un recueil de nouvelles - dont le titre m'échappe - après le Lycée. J'en ai gardé la sensation d'univers intéressants mais somme toute parfois très semblables les uns aux autres. Quant aux intrigues, faut-il bien le reconnaître, j'ai déjà eu l'occasion de dire que le scénario des Maîtres du Temps me semble plus intéressant que la trame du livre que le dessin animé adapte...

C'est sans doute à ces impressions que je n'ai jamais fait l'effort de chercher Noô et de me plonger dedans. Sans compter le fait que ce livre a été, à ce que j'ai compris, assez peu disponible pendant des années.

Résumé :
Brice, à l'âge de douze ans, ne mène pas la vie ordinaire des petits français de son âge. Ses parents sont ethnologues et vivent en Amazonie où ils étudient des peuplades primitives. Brice partage l'enfance des amérindiens, baigne dans leur culture et leurs mythes. Il a même subi l'initiation rituelle aux côtés de ses amis, avec un courage impressionnant.

Tout bascule le jour où les parents de Brice disparaissent dans un accident d'avion. Alors que les adultes lui disent qu'il n'y a pas d'espoir à garder, devant la perspective d'avoir à quitter l'Amazonie pour rejoindre la France où l'attendent une famille et une vie inconnues, le refus le pousse à s'enfuir dans la forêt vierge, dans l'espoir fou de découvrir ce qui s'est passé. La faim, puis la capture par des tribus inconnues l'affaiblissent. Atteint de graves maladies tropicales, plongé dans un état semi-conscient, il se rend à peine compte qu'un homme l'a recueilli pour l'emmener avec lui...

Lorsqu'il revient à lui, guéri, c'est pour s'apercevoir que son mystérieux bienfaiteur, un certain Jouve Deméril, l'a emmené loin, très loin de l'Amazonie. Jadis, une race extraterrestre mystérieuse, les Fâvd, a mis en place des engins spatiaux qui voyagent de monde en monde sans pilote. L'espèce humaine, utilisant ces engins par le passé, a pu ainsi coloniser un système stellaire lointain où la planète Soror occupe une position centrale... Jouve Deméril, exilé jadis sur Terre par le pouvoir politique de Soror, a décidé de sauver Brice en l'emmenant avec lui. Mais c'est un voyage sans retour car les vaisseaux des Fâvd tombent en panne les uns après les autres : Brice apprend qu'il ne pourra plus jamais revenir sur Terre.

La tristesse d'avoir quitté son monde familier disparaît assez vite lorsque Brice découvre les merveilles de la civilisation de Soror. Ce sont tout d'abord des peuples humains et non-humains qui défient l'imagination. C'est aussi Grand'Croix, la capitale de Soror, où Jouve Deméril et Brice, devenu son fils adoptif, vont s'installer pour de nombreuses années. C'est encore le génie de Jouve, qui travaille à mettre au point une nouvelle science politique. Mais c'est surtout le noôzome, cette substance mystérieuse capable de parasiter les pensées de l'être humain.

Brice mène une adolescence à peu près normale sur Soror. Mais tout bascule quand le gouvernement, inquiet des idées de Jouve Deméril, tente un coup de force, contraignant Jouve et Brice à fuir Grand'Croix et à rejoindre la rébellion armée sur un autre continent. Jouve pourra-t-il mener ses travaux à bien ? Brice survivra-t-il aux dangers inconnus de Soror et de son système stellaire immense ? Et quel est le lien entre les Fâvd et le noôzome ?

Voilà un livre que j'ai trouvé déroutant. Stefan Wul parvient à nous abreuver d'une multitude de détails faisant mériter à Noô le rang de livre-univers. Dans le même temps, certaines questions restent sans réponse bien définie. Le livre, raconté à la première personne, prend le parti de nous faire voir le monde par les yeux de Brice. Un monde qui lui est, pour la majeure partie, bien peu compréhensible. L'absence de réponses devient gênante, sur la fin, et l'on est tenté de se dire que le contrat "n'est pas rempli" - mais au fond, l'histoire qui nous est racontée, jusqu'à quel point est-elle réelle ? Jusqu'à quel point n'est-elle pas la divagation d'un fou ? Il n'y a aucune réponse définitive sur ce point.

Un autre point qui pourrait paraître gênant est encore l'accélération du temps au fil du livre. La découverte de Soror et de Grand'Croix occupe la moitié, sinon les deux tiers du volume, et représente au plus trois ou quatre ans de la vie de Brice. Le reste recouvre la période de lutte armée puis la découverte par Brice des autres mondes du système de Soror. On pourrait garder l'impression que l'auteur a "bâclé" la fin de son livre. Il n'en est rien. La fin des aventures de Brice correspond à son âge adulte et j'ai envie de voir dans l'étirement du temps sur le début de Noô l'effet de ce que j'appelle volontiers "l'éternité de l'enfance". Souvenez-vous que le temps est une notion très subjective, et si une heure ne dure rien pour vous maintenant, rappelez-vous à quel point c'était long "avant"... Dans ses voyages, Brice va quitter le monde de l'enfance, grâce à la confrontation à un univers hostile. En ce sens, Noô est un roman picaresque et j'ai envie de le comparer au Lazarillo de Tormès qu'il me faudra relire et présenter un jour prochain.

Noô est un roman très atypique, se lisant sans peine mais laissant très perplexe. Il me faudra sans doute le relire un jour histoire de mieux le comprendre. Mais d'ores et déjà, je peux le dire : il existe un "second Wul".

Commentaires

Efelle a dit…
Intrigant, il va falloir que je m'y frotte en 2011.
Pour cette année, je lirai Niourk qui m'intrigue depuis longtemps.
Laurent D.W. a dit…
Bonjour,
Niourk est le premier roman de Stephan Wul que j'ai lu.
Je n'ai pas lu Noô.
Anudar a dit…
Salut à tous les deux !

Niourk est une excellente lecture. A mettre entre toutes les mains, y compris celles des plus jeunes, sans modération.

Je pense qu'il vaut mieux lire Noô une fois que l'on a déjà un peu abordé Wul. Il me semble préférable d'être familiarisé avec ses univers avant d'attaquer ce qui, à mon sens, est le couronnement de sa carrière d'écrivain.
Laurent D.W. a dit…
Merci pour cette info.
Anonyme a dit…
Très beau,finalement n’a pas pris une ride. C’est vrai le côté picaresque peut faire penser au Lazarillo qui prend un peu la poussière sur les rayons de bibliothèques mais que je vais ressortir.
Anudar a dit…
Onze ans après ma lecture, même si je n'écrirais plus cette chronique ainsi, je crois bien que je laisserais la référence au "Lazarillo" à tel point elle me parle encore ! Bonne relecture si tu le retrouves sur tes étagères ;)