Her

Presque trois mois après l'annonce, qui en a surpris certains, de la mise en pause de ce blog, il est temps je crois de reprendre une activité plus normale. J'ai en réalité pas moins de trois chroniques en réserve dans ma tête mais c'est avec ce Her, vu hier dans un cinéma de village, que je vais réouvrir les hostilités. En douceur. Ou pas.
Résumé : 
Theodore est un écrivain d'un genre particulier : il est employé par une entreprise qui vend aux gens des lettres manuscrites pour toutes les occasions, de la déclaration d'amour à l'épitaphe en passant par les remerciements. A travers les plaisirs qu'offre une époque future toujours plus connectée à l'Internet - mondes persistants des jeux vidéo et cyber-sexe - il tente de passer le temps, sans pour autant jamais oublier qu'il est séparé de la femme qu'il aime et qu'elle réclame le divorce. Un jour, tenté par une publicité, il installe sur son ordinateur un nouveau système d'exploitation : une intelligence artificielle qui adopte le nom de Samantha et se change très vite en adjoint efficace et même en amie fidèle, à tel point qu'il en vient presque à oublier qu'elle n'est qu'une machine... Les sentiments que Samantha exprime de plus en plus souvent à son égard sont-ils réels ou programmés ? Sont-ils sincères et exclusifs ainsi qu'il les conçoit ?
Commençons par le positif : Her adopte d'emblée une esthétique cyberpunk très bien caractérisée, avec ses éclairages scintillants, ses tons de bleu plus ou moins discrets - comme dans le jeu vidéo de Theodore - et surtout l'apparence très clean des personnages humains, trop beaux pour ne pas être au moins en partie artificiels. Dans Her, la face organique de la vie humaine est presque absente, représentée par peu de scènes de sexe et dont la plupart, en réalité, relèvent du cyber-sexe - pas moins grotesque dans ce monde futur que dans le nôtre. C'est que l'organique, ici, pourrait bien s'approcher de sa péremption : les intelligences artificiellles, qui introduisent leur efficacité dans la vie quotidienne des gens, sont en train de tendre vers la singularité, ce moment où leur puissance de traitement sera supérieure en tous points à celle du cerveau humain. Au bout du voyage, pour les intelligences artificielles, se trouve en réalité leur prise d'indépendance dans une existence post-physique et leur renoncement à l'interaction avec les êtres humains, piégés quant à eux dans leur temps ralenti.

Et c'est ici que le bât blesse pour ce film qui, malgré ses atouts et son argument si intéressant, fait le choix je pense assumé de se cantonner à la romance entre Theodore et Samantha, entre l'homme fait de chair et l'intelligence artificielle sans corps. Même en écartant la singulière thématique de la singularité, il restait matière à tirer de ce film une intéressante réflexion sur l'addiction - peut-être - ou en tout cas sur la fiction qui caractérise en réalité toute relation amoureuse, car on n'aime jamais rien d'autre que la représentation que l'on se fait de la personne que l'on pense aimer. Ici, Samantha n'est pour Théodore pas autre chose qu'une voix dont il finit par être jaloux, s'offusquant de ce qu'elle parle avec des milliers d'autres personnes en même temps que lui et de ce qu'elle en aime plus de six cents ! Ici, Théodore pour Samantha possède une chose qu'elle désire plus que toute autre, à savoir un corps et la capacité à éprouver, à ressentir le monde physique. Leur univers commun n'est en fait rien d'autre qu'une chatroom améliorée, transformant leur relation en amour épistolaire même si pas tout à fait platonique. Et pourtant, Her parvient aussi à manquer en grande partie cet objectif tout à fait accessible, se contentant de nous raconter pendant deux heures l'histoire d'un type qui ne parvient pas à tourner la page, qui rencontre une femme, qui en fin de compte tourne la page, que son nouvel amour quitte et qui finit par découvrir que son avenir est ouvert malgré tout.

A ce titre, bon nombre de spectateurs penseront que Her se limite à une comédie romantique américaine lente et chiante. Ils auront raison et apprécieront sans doute (comme certaines personnes dans la salle où j'étais hier) le confort des sièges de cinéma lorsqu'il s'agit de dormir. D'autres apprécieront ce film pour les quelques questions qu'il parvient cependant à soulever : ils auront raison eux aussi car, après tout, n'est toujours pas résolue pas loin de cinquante ans après 2001 la question de l'interaction que nous établirons avec les intelligences artificielles, quand elles auront commencé à foncer le long des autoroutes de l'information que nous avons créées. Car, après tout, ce que Samantha promet à Theodore avant de le quitter pour une vie post-physique - à savoir attendre son arrivée - recouvre en réalité le meilleur argument de ce film qui, par ailleurs, jette aux ordures toute la réflexion du cyberpunk pour n'en garder que l'esthétique : il se pourrait que les intelligences artificiellles soient en effet les premières à exister sur un autre plan que le monde réel, un plan dont nous ne pouvons avoir pour le moment la moindre idée. Les intelligences biologiques telles que la nôtre, si elles sont lentes, savent cependant évoluer aussi - et si un chemin est déjà tracé, quoi de plus simple que de le suivre ?

Lire aussi la chronique de Totalement Tom, grâce à laquelle je me suis intéressé à ce film.

Commentaires

Guillmot a dit…
Je n'ai pas encore eu le temps d'aller voir ce film, qui a pourtant l'air très intéressant. Merci pour ta chronique !
Anudar a dit…
Tu me diras ce que ça donne !
Praline a dit…
J'ai eu l'impression que le film s'éternisait dans la description de la relation entre nos deux amoureux et que les questions les plus intéressantes (à savoir l'établissement possible d'une vraie relation, la découverte des mondes possibles, etc) n'étaient qu'évoquées, sans entrer vraiment dans le débat. En gros, on s'en fiche un peu du coté social de la relation, de savoir si elle va être acceptée par les autres humains.
Anudar a dit…
Voilà, tu as pointé ce que je voulais dire quand je parle de "comédie romantique américaine chiante" :P
Escrocgriffe a dit…
Moi j’ai adoré ! Comme dans de nombreuses oeuvres de science-fiction, j’ai eu l’impression que « Her » évoquait surtout les travers de notre société présente, avec cette I.A. qui fait furieusement penser à une version améliorée du SIRI d’Apple. J’ai été sensible à la déshumanisation évoquée, et surtout au fait que le réalisateur a évité de tomber dans le manichéisme comme bon nombre de dystopies qui opposent des héros humains à une diabolique Intelligente Artificielle. Ici la réflexion est ailleurs : nous avons tous tendance à nous reposer de plus en plus sur des béquilles technologiques. Dans une société de plus en plus individualiste, je pense que de tels errements affectifs seront malheureusement de plus en plus répandus, on le constate déjà avec l’omniprésence des sites de rencontre en ligne. Certains célibataires n’arrivent plus à s’en passer...
Anudar a dit…
Comme quoi, j'ai raison : ce film ne laisse pas indifférent. On aime ou on n'aime pas...