L'Abîme au-delà des Rêves

Un nouveau Peter F. Hamilton, pour moi qui suis amateur de space-opera, c'est toujours une bonne nouvelle. Ici, le porteur d'heureux message fut Herbefol dont je recommande la chronique de lecture : je découvrais - avec pas mal de retard puisque ce livre est paru il y a plus de six mois... - la sortie d'un nouvel élément de la Saga du Commonwealth, laquelle constitue à mon sens le grand-oeuvre de Hamilton, plus que le Cycle de l'Aube de la Nuit en tout cas. J'avais une raison supplémentaire de vouloir me replonger dans un Hamilton, par ailleurs... c'est que je m'apprêtais alors à modérer une table ronde l'impliquant aux Intergalactiques de Lyon !
Résumé :
Le Vide... un univers artificiel, au coeur de la Voie Lactée, où se perd la flotte intergalactique de la Dynastie Brandt partie fonder une nouvelle civilisation au-delà des frontières du Commonwealth. Quand Laura Brandt est réveillée à bord du Vermillion, c'est pour découvrir qu'on a besoin d'elle et de ses compétences au sein d'un univers où la technologie se détraque. Une planète attend les naufragés du Commonwealth - mais une étrange "forêt" tourne autour d'elle... Pendant ce temps, ailleurs, Nigel Sheldon - l'un des plus puissants hommes du Commonwealth - se laisse persuader de partir explorer le Vide en mission pour les Raiels : ceux-ci ont eu accès aux rêves d'Inigo et ont identifié en Makkathran l'épave d'un des vaisseaux d'invasion que leur espèce a en vain lancée contre le Vide un million d'années plus tôt. Ce que Laura Brandt comme Nigel Sheldon ignorent, c'est que la planète où tous deux vont s'échouer à des milliers d'années d'écart est la cible d'une terrifiante menace extraterrestre à même, peut-être, de mettre en échec le génie du Commonwealth. Existe-t-il une issue pour les descendants de l'espèce humaine piégés dans le Vide ?
Voir un auteur revenir à l'un de ses univers les plus intéressants, c'est toujours agréable. De toute évidence, Hamilton aura de la peine à quitter son univers du Commonwealth dont il explore ici de nouveaux lieux, de nouvelles époques et où il introduit de nouveaux personnages. Bon, certaines vieilles connaissances font leur retour, ainsi qu'il se doit : quelques années avant les événements de la Trilogie du Vide, on croise Nigel Sheldon et même Paula Myo qui vient faire un caméo ! Mais, cette fois-ci, le propos de Hamilton n'est pas d'écrire un préquel à la Trilogie du Vide : les enjeux de la présente série sont très différents. La menace représentée par le Vide n'est pas encore imminente, Inigo n'a pas encore abandonné les fidèles de la religion qui s'organise autour de ses rêves et la faction Accélératrice de l'ANA n'est pas encore en train de manipuler le Pélerinage du Rêve Vivant.

Car c'est, cette fois-ci, au coeur du Vide lui-même que se noue l'intrigue de ce roman. Bien des périls pèsent sur ceux qui s'y trouvent piégés, le moindre étant peut-être bien le fait que les machines y tombent en panne - problème handicapant pour une société habituée à l'omniprésence de mécanismes intelligents et même d'implants destinés à étendre les capacités de l'organisme humain. Le pire, c'est bien entendu la présence des Fallers : eux-mêmes prisonniers du Vide, ces lointains descendants d'une espèce extraterrestre intelligente sont capables d'absorber la chair et les pensées pour construire des simulacres d'êtres humains... La présence de pareils ennemis contraint l'évolution de la société des naufragés : une fois leurs machines tout à fait détraquées, il ne leur reste plus qu'une hiérarchie pyramidale qui protège bien mal le petit peuple de la terreur des Fallers. Comme dans la Trilogie du Vide, le système est mortifère et va être secoué... sauf que cette fois-ci, les causes de la perturbation initiale ne seront pas tout à fait les mêmes.

En nous épargnant une réédition de son schéma, l'auteur nous montre une fois de plus l'étendue de son talent : questionnant toujours, et avec détermination, ce qui peut rester du propre de l'humanité dans un futur où celle-ci commence à tendre vers la post-humanité, Hamilton se paye le luxe d'explorer les voies de garage et les impasses évolutives. Qu'est-ce que le Vide sinon un bac à sable où les nostalgiques peuvent développer des pouvoirs dont rêvent les enfants - et surtout rester figés dans une stase on ne peut plus malsaine ? Alors qu'à l'extérieur du Vide le temps s'accélère encore et toujours, à l'intérieur la flèche du progrès s'inverse au bénéfice d'un accomplissement peut-être illusoire. Avec la très belle image finale, Hamilton nous révèle (qui sait !) ce qui pourrait bien être son intention : confronter l'humanité du Commonwealth à celle qui a toujours vécu dans le Vide, c'est-à-dire, confronter l'appel de l'infini à l'aspiration à l'éternité. Saura-t-il nous inventer quelque impossible synthèse ? Nous en jugerons dans quelques temps...

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