Vostok

L. L. Kloetzer, auteur bicéphale, a été croisé par ici grâce aux lectures de Cleer (Prix des Blogueurs 2011) et d'Anamnèse de Lady Star (shortlisté malheureux en 2013, et j'avais détesté). Ici, un seul des deux L. est aux manettes en la personne de Laurent Kloetzer, pour un roman inséré dans le même futur que celui d'Anamnèse de Lady Star. Il s'agissait de mon dernier rattrapage dans le cadre du Prix des Blogueurs 2016 : faisons les choses comme il le faut, et chroniquons-le !
Résumé : 
Un futur proche, où le spectre du réchauffement climatique hante chacun des événements météorologiques extrêmes qui se multiplient. Au Chili, Leonora est la soeur d'un petit parrain aux ordres du Cartel, menacée en permanence par les drones des Andins qui disposent du pouvoir de faire pleuvoir la mort sur les têtes de leurs ennemis. Alors que son frère Juan gère son entreprise criminelle à coups de revolver et de mystique chamanique mêlée de christianisme, elle doit étudier pour, un jour, peut-être entrer dans une grande université. Mais dans le jeu entre le Cartel et les Andins, Juan a déniché une carte qui pourrait bien se révéler un atout majeur, à même d'éliminer à tout jamais la menace venue des montagnes. Le prix a été cher payé : faire trop de bruit comme l'a fait Juan, c'est la garantie d'attirer l'attention des politiciens et de la police corrompue - surtout lorsqu'il lui manque une information pour abattre son jeu. Alors, autant jouer le tout pour le tout : aller chercher le mot de passe manquant à Vostok, ancienne base russe en Antarctique. Un voyage dangereux et de nature à changer à tout jamais Leonara... Y aura-t-il un retour pour elle ?
L'Antarctique est le dernier finis terrae : on y trouve tous les points d'inaccessibilité continentaux du monde. Seul continent où nul n'a osé prendre pied avant l'époque moderne, presque inhabitable en réalité - il faudrait aller sur Mars pour trouver un environnement plus hostile - cette immense terre émergée où le pôle Sud s'est calé depuis des millions d'années a néanmoins attiré les explorateurs du XXème siècle. C'est l'un des fils d'intrigue de Vostok : à travers l'histoire de Veronika, une géologue soviétique - puis russe - affectée à Vostok, station réelle située au pôle géomagnétique austral, on voyage à travers plusieurs décennies de présence humaine en Antarctique, de l'époque des bricoleurs jamais tout à fait sûrs de survivre à leur hivernage lors du long et terrifiant Hiver austral, jusqu'à celle des scientifiques déterminés à extraire les secrets des climats passés des glaces millénaires du continent gelé. A Vostok, à l'époque de l'Union Soviétique jusqu'à celle de la Russie, la présence humaine est abondante ; les espoirs et les ambitions des uns et des autres peuplent les couloirs de voix et de rêves, alors que les forages dans la glace battent peu à peu des records.

Plus tard, au beau milieu du XXIème siècle, Vostok est désertée. Viennent alors Juan, Leonara et leurs alliés dans le cadre d'une mission aussi désespérée qu'illégale, ramener voix, rêves, chants et chaleur dans les couloirs abandonnés de la base. La folie menace alors : les abris sont confinés, mais à l'extérieur c'est le royaume du froid le plus cruel qui soit sur Terre, où soufflent des vents capables en un battement de paupières de retirer toute chaleur au corps humain. Que choisir, entre la promiscuité d'une part et le gel d'autre part ? Les personnages du temps présent de Vostok, face à ce choix, devront en réalité rechercher la moins mauvaise des solutions : désespérés comme ils le sont déjà, d'autant plus que certains ont un agenda secret, ils finiront parfois par se tromper. Or, en Antarctique, les erreurs sont souvent fatales. A Vostok, dans le passé comme dans le présent, la mort rôde, ainsi que les fantômes de ceux qui sont partis - ou qui, peut-être, attendent d'y revenir. L'ambiance devient vite claustrophobique, pour les personnages comme pour le lecteur de ce livre - et il devient évident pour le lecteur, et peut-être pour Leonara, que le voyage à Vostok est sans retour.

Le futur, dans Vostok, est en réalité barré par le goulot d'étranglement du Satori, cet attentat mémétique relaté dans Anamnèse de Lady Star et à l'origine de l'extermination des trois quarts de l'espèce humaine. L'Antarctique, même au plus fort de l'Hiver austral, grâce à l'isolement qu'il implique, rend alors possible la survie de Juan et de Leonara. Quand l'espèce humaine se meurt, ce sont les pôles d'inaccessibilité qui sont les derniers à se dépeupler : la convergence entre la mystique de Juan, les ambitions des derniers chercheurs russes de Vostok et les rêves de Leonara rend alors possible cette émergence de l'espoir d'une survie de l'espèce. On trouve ici un peu de ce qui faisait tant défaut à Anamnèse de Lady Star : l'irruption d'une maladie mémétique impliquerait, à mon avis, l'émergence de nouveaux comportements sociaux à même d'immuniser les gens contre la consomption instantanée de l'intellect. Je trouve dommage que la solution puisse émerger d'une expérience de mort imminente, à moins que ce ne soit du brouet mystique de Juan auquel il ne croit lui-même pas tout à fait. Comme dans Cleer et dans Anamnèse de Lady Star, le problème provient en réalité des personnages qui, en ne se livrant jamais, finissent par en devenir presque étrangers à l'espèce humaine - car c'est cela, l'enjeu du Satori : que devient une espèce intelligente lorsque ses moyens de communication deviennent les vecteurs de l'extinction ? A cette question, Anamnèse de Lady Star ne répondait pas, mais Vostok le fait, un peu. Assez, en tout cas, pour se changer en page-turner - ce qui, en soi, est une qualité...

Commentaires

Anudar a dit…
C'est en effet l'une des qualités de ce livre !