Le chant du cosmos

Du regretté Roland C. Wagner, il a déjà été question ici. Je me suis offert ce roman - paru en poche en 2017 - aux Utopiales 2019 : une occasion comme une autre de lire Wagner à nouveau, histoire de découvrir son oeuvre au fil des ans..
Résumé : 
Yeff est linguiste. Il vient d'Océan, l'un des mondes les plus anciens de la Famille humaine, et s'aventure sur la froide Diasphine. Là, il va faire trois rencontres qui changeront sa vie à tout jamais : celle du maedre - un animal extraterrestre intelligent qui ne le lâchera plus d'une semelle ; celle du Jeu - variante psychico-physique du jeu de go ; et celle de Clyne - sa Muse au Jeu pour lequel il se découvre aussitôt un talent inouï de Penseur. L'école dominante au Jeu est celle des Expansifs - qui cherchent à vaincre leurs adversaires en délimitant les plus grands territoires... mais un jeune Incisif s'apprête à renverser la table. Qui est Wamkadh, le prodige dont le talent tranche à travers les territoires et la santé mentale des autres Penseurs ? Rien n'est clair dans la rivalité qui se dessine entre lui et Yeff - d'autant moins que les tactiques au sein du Jeu pourraient avoir des conséquences politiques et même cosmiques...
L'intrigue de ce roman s'étire sur trois décennies, chacune de ses grandes parties couvrant des événements se déroulant sur un monde bien défini de la sphère humaine. Si les cultures et les lois sont variables, en revanche l'héritage historique est le même partout - et c'est à travers ce prisme que l'auteur dévoile peu à peu un univers de space-opera satisfaisant même si peu original comme on va le voir un peu plus tard. La solution est intelligente mais présente un défaut : celui de rendre ce roman très lent à démarrer. Disons-le tout de suite, il faut s'accrocher pour terminer Le chant du cosmos : non que ce soit mal écrit ou pas intéressant - on parle de Wagner - mais l'immersion est si lente que le seuil au-delà duquel on se sent happé se situe au-delà de la moitié, voire des deux tiers du livre. C'est alors en effet que l'auteur offre des éléments grâce auxquels le lecteur commence à comprendre qu'il ne s'agit pas que d'une question de rivalité entre joueurs voire entre écoles de Jeu, et que le Jeu lui-même pourrait être moins anodin qu'il y paraît au premier abord. Le jeu de go duquel le Jeu dans ce livre s'inspire (de loin) consiste à délimiter des territoires là où les échecs visent à éliminer l'adversaire : derrière cette opposition stratégique s'en trouve en réalité une autre plus politique et qui n'a jamais cessé d'être vive depuis l'invention de l'agriculture. Qui est celui qui gagne la guerre : celui qui tient le territoire... ou celui qui a tué le roi ennemi ? Ce sont ces lignes de césure que Wagner explore - sans que l'on puisse douter un seul instant du côté auquel va sa préférence personnelle.

Si le temps fictionnel offert  au Chant du cosmos est long, cela permet à Wagner de développer une intrigue par moments asimovienne. On le sait, le Bon Docteur aimait les énigmes d'envergure galactique et tout lecteur de Fondation doit se souvenir des personnages errant parmi les ruines de l'Empire à la recherche éperdue de la Seconde Fondation... L'espace humain dont il est question ici a été colonisé par vagues, permettant de distinguer les mondes anciens des mondes récents ; parmi les premiers, il y en a un dont la culture hostile a été mise en quarantaine mais qui n'a pas renoncé pour autant à essaimer lui aussi ; au-delà des frontières de la sphère d'expansion humaine se trouve un ennemi redoutable mais arriéré ; à l'intérieur même de la Famille certains semblent s'autoriser des entorses répétées aux lois, planétaires comme interstellaires... Tout, dans Le chant du cosmos, invite à questionner les apparences : cette histoire est en effet asimovienne puisque les actions des personnages ont des répercussions globales et que celles-ci influencent même la bonne marche de l'Univers. Le chant du cosmos éponyme n'est autre que la continuation des lois de l'Univers par d'autres moyens, comme dans le Cycle de Fondation la psychohistoire de Hari Seldon n'était jamais qu'une application théorique de la thermodynamique aux flux historico-sociaux.

L'hommage de Wagner à Isaac Asimov est donc appuyé, il est réussi, et il mérite par conséquent que l'on s'accroche assez longtemps pour le lire jusqu'au bout...

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