Alix Senator tome 8 : La cité des poisons

Nouvelle parution dans la série Alix Senator de Valérie Mangin et Thierry Démarez : après le déchirant La puissance et l'éternité, le moment est venu de voir si les auteurs étaient en mesure de transformer l'essai et de faire de cette séquelle aux Aventures d'Alix un apport tout à fait indispensable à la série...
Résumé : 
Titus connaît désormais le nom de sa mère - mais le prix à payer pour le découvrir fut élevé. Alix, à la tête d'une petite troupe romaine, conduit une ambassade au nom d'Auguste auprès du roi de Pétra : il emmène avec lui son fils et son ami Enak, toujours inconsolable après la mort tragique de son propre fils Khephren, désireux de les mettre à l'abri des complots de l'Impératrice Livie. A Pétra, ils vont trouver une situation politique des plus complexes : le roi mène une vie décadente, et sa reine et son ministre complotent pour lui arracher la réalité voire même toutes les apparences du pouvoir. A ces difficultés attendues va se superposer la jalousie de Titus, qui ne supporte pas de voir Camma courtisée par le fils du puissant ministre Syllaios... Pétra est réputée pour son marché aux remèdes et aux poisons : Alix et les siens pourront-ils éviter un bain de sang ? Ou bien la folie et la jalousie vont-elles concourir à entraîner des innocents dans la mort ?
Le mot latin potio a donné aussi bien le mot français de potion que celui de poison : de l'antidote au venin, il n'y a parfois pas beaucoup de distance. La Petra antique, celle des Nabatéens, est présentée ici aussi bien comme la capitale des poisons que comme celle des remèdes : sur son marché, l'amateur pourra donc dénicher des potions triviales - philtre d'amour ou encore élixir d'endurance à destination des érotomanes ! - mais aussi des substances beaucoup plus inquiétantes. L'amour et la mort vont marcher de conserve dans cette histoire beaucoup moins légère qu'il pourrait y paraître : si les factions des Nabatéens sont à couteaux tirés, l'arrivée de l'ambassade romaine va déchaîner les passions et contraindre les différents acteurs à brusquer leur stratégie. Le ministre Syllaios comme la reine Hagirû désirent l'alliance romaine et sont prêts à la surenchère pour l'obtenir coûte que coûte : la position d'Alix n'est donc pas aussi confortable qu'il pourrait y paraître. Aux marges du monde romain, le royaume Nabatéen souhaite à ce qu'il semble s'imposer comme une puissance régionale et le marché que propose Syllaios n'est pas tout à fait celui qu'Auguste voudrait conclure. Le complot politique est donc intriqué, contraignant Alix à la plus grande prudence dans ses mouvements : le Sénateur est rusé, il a l'expérience nécessaire pour agir comme il le faut dans cette cour vénéneuse... mais le lecteur n'oublie pas qu'il est aussi plus vieux qu'autrefois, plus désabusé aussi sans doute... Le lecteur n'oublie pas aussi qu'il est ébranlé par les événements qui se sont joués à Cumes - et que la maladie de Lidia, la mère de Titus, est un souci permanent.

Après la disparition de Khephren - qu'il est raisonnable de supposer mort suite à l'album précédent même si, dans les Aventures d'Alix, toutes les morts ne sont pas définitives - le quatuor familial organisé autour du Sénateur s'est réduit à un trio. Alix est préoccupé par l'intrigue nabatéenne, alors qu'Enak semble au bord de la folie : Titus est presque livré à lui-même et à ses émotions. L'adolescence est une construction sociale récente et les anciens romains ne la reconnaissaient pas, pourtant il semble bien que quelque chose de l'esprit rebelle qui animait Khephren soit passé dans la psyché de Titus - et l'adolescent "gentil" qu'il était se fait jaloux, colérique et même haineux. Les passions brûlantes qui l'animent - cet amour inaltérable qu'il croit filer avec la belle Camma rencontrée à Cumes... puis cette aversion qu'il construit à l'égard d'Alexandre, jeune homme plus mûr, plus séduisant et plus fort que lui - vont le conduire à prendre de mauvaises décisions, tout comme son frère adoptif avait pu en prendre par le passé. Titus n'avait pas encore fait l'expérience de son propre hybris : là où celui de Khephren s'exprimait par la recherche de la passion physique et l'absolu mystique, on découvrira ici une autre forme d'oblitération. Alix, à l'âge de Titus, aurait sans doute fait tout ce qu'il aurait pu pour sauver une vie là où son fils, au contraire, fait le choix de se taire et de perdre presque tout. Y a-t-il un espoir pour ce garçon jusque là si sympathique ? L'erreur est humaine - à condition que ses conséquences ne dévorent pas l'esprit de celui qui la commet...

Ce bel album - les décors nabatéens, même s'ils sont peut-être anachroniques d'après les auteurs eux-mêmes, valent bel et bien le coup d’œil... - a donc un goût bien amer. Alix n'est pas fatigué, aujourd'hui moins que jamais : ce n'est pas le cas d'Enak, et ce n'est sans doute pas non plus celui de Titus. Bravo !

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