Yoko Tsuno tome 10

J'inaugure une étiquette relecture grâce à cet album de Yoko Tsuno, qu'un opportun article d'Efelle m'a donné envie de relire de toute urgence.

Résumé :
Pour son troisième séjour sur Vinéa, Khâny offre au "trio de l'étrange" un petit voyage dans le système solaire vinéen. Mais comme toujours avec Khâny, Yoko se rend compte bien vite qu'il y a autre chose en magasin. Ixo, l'un des satellites d'une planète gazeuses du système vinéen, fut transformé en dépotoir par les vinéens dans un passé reculé, avant le cataclysme qui a contraint certains d'entre eux à s'enfuir. Or il se trouve que les exilés de Vinéa, depuis leur retour sur leur planète d'origine, ont constaté un phénomène mystérieux à la surface d'Ixo : tous les cinq ans, une lumière se manifeste à proximité du complexe de stockage abandonné deux millions d'années plus tôt... Arrivés sur place en compagnie d'une équipe d'exploration vinéenne, Yoko, Khâny et Vic découvrent des signes d'occupation humaine très récents et réchappent de peu à une agression robotisée. Alors que Vic part chercher de l'aide auprès du gros de l'équipe, Yoko et Khâny se réfugient dans un étrange sanctuaire où semble se diriger un rayon lumineux chargé de molécules d'oxygène. Elles ne savent pas encore que leur incursion va déclencher un bouleversement majeur pour une civilisation mystique et xénophobe vieille de plusieurs dizaines de milliers d'années... Entre Sikan, fanatique assoiffé de pouvoir, et Mŷrka, scientifique pragmatique mais jalouse de Yoko, qui l'emportera ?
Il s'agit pour moi de l'un des meilleurs albums de la série. Comme j'ai eu l'occasion de le dire chez Efelle, on tient là une oeuvre où le dessin de Roger Leloup a développé toute sa maturité. L'univers vinéen possède, grâce aux quatre précédents albums qui l'ont exploré, une véritable cohérence interne, et un contexte permettant de "lire entre les lignes". On peut ainsi dater l'arrivée des exilés sur Ixo et donc le début de la tyrannie du Guide Suprême grâce à quelques indices : de toute évidence, il s'agit d'événements vieux de quelque soixante-cinq mille ans. Durée que Efelle juge critiquable, que l'objectivité m'incite à déclarer digne de débat... mais il s'agit aussi de la part du rêve et, au fond, les aventures de Yoko Tsuno ne sont-elles pas de beaux rêves, dans l'ensemble ?

Les thèmes abordés ici sont pourtant d'une noirceur assez rare dans la série. Après La Fille du Vent où Yoko faisait face au sacrifice de son mentor Aoki, voilà qu'elle est confrontée à une civilisation fermée sur elle-même, une société vivant sur le fil du rasoir, où la survie tient à un véritable bricolage. Les exilés ont choisi de s'installer sur des roches en orbite basse autour d'une étoile mourante : leur survie dépend de leur capacité à maintenir le brasier solaire de Shŷra, leur monde, à partir de l'énergie produite sur Ixo et transférée par la fameuse lumière depuis un miroir géant creusé dans la glace. L'élégance de la méthode dissimule très mal le labeur épuisant des équipes qui, sur Ixo, doivent produire cette fameuse énergie, et si les tenues des exilés présentent une certaine parenté avec celles des Vinéens, leur beauté peu utilitaire voire décadente n'est pas sans évoquer l'architecture a-logique du sanctuaire et surtout de la cité divinisée de Shŷra : on est en présence d'une civilisation de l'apparence, peu tolérante vis-à-vis des écarts à la norme, et capable de générer de fortes personnalités ainsi que de véritables monstres. Poky manquera d'en faire les frais.

C'est en fin de compte tout un système mystique et hostile que Yoko va finir par démonter... mais presque sans le vouloir, et surtout par hasard. Si tout est bien qui finit bien, et si Yoko ne manque pas de sourire à la fin de l'album, l'histoire qui est racontée ici n'est pas sans laisser une impression de beauté aride. A relire cet album que je connais si bien depuis l'enfance, je ne peux m'empêcher, devenu adulte, d'y trouver des réminescences de Dune. Ixo et son environnement hostile n'évoquent-ils pas Arrakis ? Le mysticisme des exilés n'a-t-il pas un lien avec celui des Fremen ? A ceci près que Roger Leloup, au contraire de Frank Herbert, n'imagine pas une guerre sainte partant d'Ixo et bouleversant l'ordre établi depuis Shŷra. Les exilés sont faibles et opprimés : il leur faudra de l'aide pour se sauver eux-mêmes.

Je rejoins donc Efelle quant à sa remarque sur la noirceur, voire la morbidité de cet album pourtant si réussi. Et à écrire cet article, je me rends compte qu'il conviendrait de relire l'album précédent et celui qui suit : de toute évidence, il y a quelque chose à dire de l'ensemble.

Commentaires

Efelle a dit…
Ah qu'est ce que je disais ?
Un bon album mais je trouve que l'atmosphère pesante qui y règne tranche quelque peu à la série qui réussit pourtant la plupart du temps de maintenir un certain équilibre dans le ton, entre noirceur, espoir et humour. Les albums précédents sont plus vivants, là on débute sur une friche industrielle avant de passer dans un mausolée, le tout dans la nuit et la glace. Brrr !
Anudar a dit…
Je ne serais pas étonné d'apprendre que Roger Leloup, au moment de la production de l'album, aurait traversé une crise personnelle... Cette noirceur, en effet, est inhabituelle pour du "Yoko Tsuno"...