Memoria

De Laurent Genefort, j'ai déjà eu l'occasion de lire avec beaucoup de bonheur ses romans sur Omale, cette sphère de Dyson extraterrestre où l'espèce humaine partage un espace vital avec deux autres espèces intelligentes. J'avais entendu dire - dans le numéro 58 de Bifrost - que cet univers est en réalité inclus dans un univers plus grand, la Panstructure. Cette lecture constitue donc pour moi les premiers pas hors d'Omale. Dans sa dédicace, l'auteur me disait, en substance, qu'après avoir arpenté Omale, j'avais fait "le plus gros du boulot". Nous allons voir ce qu'il convient d'en penser...
Résumé :
Il n'a pas de nom, car il l'a oublié. Ses seuls biens sont contenus dans une malette : une machine lui permettant de transférer sa conscience dans de nouveaux corps, et une collection de memorias, c'est-à-dire des extraits de souvenirs enlevés à de précédents hôtes... Car il est un tueur que les puissances de la Panstructure achètent pour exécuter les contrats les plus difficiles. Il bénéficie ainsi d'une étrange forme d'immortalité - même s'il ne saurait pas dire depuis combien de temps il passe d'hôte en hôte... Le "cauchemar noir", qui est - peut-être - la rémanence d'un transfert traumatisant, vient l'assaillir avec une régularité croissante et les memorias qui lui procurent un semblant de protection deviennent de moins en moins efficaces. Le temps du dernier transfert s'approcherait-il ? L'étrange machine vangke à laquelle il confie sa conscience aurait-elle son but propre ?
C'est là un roman assez court, suivi dans cette édition d'une nouvelle intitulée La Nuit des Pétales impliquant le même personnage mais en forme de préquelle. Je parlerai ici surtout du roman éponyme, une pièce de SF très convaincante et très efficace. Le tueur sans nom respecte un certain nombre de "règles de conduite" qui intriguent dès le début. On se demande quel est le point de départ de son histoire personnelle alors que l'on en est, de toute évidence, à la fin : il y a un sentiment d'urgence qui baigne cette oeuvre, urgence qui se concrétise à la fin. Quelques indices, éparpillés au fil de l'histoire - lors de ses temps de "repos", en fait - et ce fameux "cauchemar noir" de plus en plus fréquent font en sorte que le dévoilement du mystère n'apparaît pas du tout téléphoné. Il ne s'agit somme toute pas d'une forme d'immortalité mais plutôt d'une forme de dégradation intellectuelle et ce personnage dont je n'ai encore croisé aucun équivalent, à mon souvenir, est en réalité un vieillard épuisé, malgré les apparences contradictoires. Un vieillard qui a fini par oublier ce qu'il est. Dans cet univers, Laurent Genefort nous montre des humains augmentés mais, en fin de compte, ce narrateur n'en est pas un. Enfin, si. Enfin, non. Disons que c'est un observateur qui rôde à la frontière du camp, qui aimerait bien venir s'asseoir autour du feu, mais qui n'ose le faire sans y être invité...

Dans Omale, Genefort, à travers les Chiles et les Hodgqin, met en relief la nature de l'humain. Ici, et bien que cet univers ait une saveur différente puisqu'il est ouvert et non fermé par le carb d'Omale, il parvient, en confrontant son personnage à un certain nombre de cultures humaines, à nous guider dans la même réflexion. Et depuis l'extérieur, ce qui n'avait rien d'évident. Un récit qui, bien que court, n'est en rien mineur : c'est, comme je le dis parfois, une belle leçon de SF qui nous est proposée ici.

La nouvelle qui suit le roman Memoria se déroule dans le passé, par rapport au roman. Avec un bel à-propos, Genefort fait enfreindre l'une des règles de fonctionnement de son personnage de tueur et nous le montre au plus fragile, au plus menacé dans son existence, dans des circonstances qui avaient été pourtant prévues, d'une certaine façon, par le récit précédent. Un contrepoint qui permet de ne pas quitter trop vite ce personnage si convaincant. Bravo !

Commentaires

Xapur a dit…
Je l'ai dans ma pile depuis un petit moment, heureux de voir que tu l'as aimé :)
JM a dit…
Ah, je l'ai lu. Ça ressemble plus à du planet-opera. Les moments dans l'espace sont limités. C'était sympa. Mais vu le paysage francophone actuel du space/planet opera, c'est vraiment très bien. Pourvu que ça continue.
Anudar a dit…
@Xapur : oui je le recommande.

@JM : je pense qu'il serait difficile de réutiliser le concept une fois de plus. La nouvelle qui le conclut, et qui fait préquelle, est un bon reload, mais ça me semble difficile d'en faire une autre et a fortiori un roman...
JM a dit…
Je parlais de la Panstructure. Mais ça sent l'héritage Fleuve noir, malheureusement.
Anudar a dit…
"Omale" fait partie de la Panstructure. Et je ne suis pas sûr que "Rempart", publiée dans le Bifrost numéro 58, ne s'intègre pas à cet univers...