L'Histrion

J'ai déjà eu l'occasion de chroniquer ici des oeuvres d'Ayerdhal, à commencer par le fameux Mytale et plusieurs autres pièces du "Cycle de l'Homéocratie". Dans ce roman, l'auteur nous propose un space-opera qui ne semble pourtant pas s'inscrire dans ce même univers assez pacifié...
Résumé :
El s'appelle Aimelin(e). El est sexomorphe :  homme ou femme dans son corps, selon sa volonté ; ni tout à fait l'un ou l'autre dans sa tête. El est l'Histrion, c'est-à-dire la pièce maîtresse du jeu d'échecs cosmique conçu par Genesis, l'intelligence artificielle qui a déjà connu au moins une période où l'humanité s'est auto-détruite. Or, il semble que l'heure soit revenue du suicide pour l'espèce humaine. L'Empire et la Confed sont au bord de la guerre et les factions tirent les lignes de démarcation entre les deux camps avant la conflagration terminale... Aimelin(e) peut-el contraindre l'espace humain à évoluer enfin, quitte à bouleverser les anciennes habitudes ? Pour cela, encore faudrait-il qu'el souhaite jouer le rôle que d'autres veulent lui voir jouer...
Jouons cartes sur table, par respect pour un auteur qui m'a plutôt convaincu jusqu'à présent : ce livre ne m'a pas du tout convenu. En fait, je me suis rendu compte que je n'étais pas capable d'en venir à bout. C'est rare. Il m'en reste environ cent cinquante pages et je n'ai aucune envie de continuer une lutte qui dure depuis des semaines.

Cela partait pourtant bien. Une préface qui ne dit pas son nom en hommage à Frank Herbert et à ses personnages féminins ("Pas facile d'oublier Odrade", nous dit Ayerdhal). Une construction dont chacun des chapitres est ouvert par un épigraphe écrit de la main de Genesis. L'influence du Maître se sent dans ce livre, plus encore peut-être que sur d'autres du même auteur, et j'ai même envie de dire qu'avec ses intrigues à tiroir et ses rouages à l'intérieur des rouages, L'Histrion est un livre herbertien. Mais de ce type herbertien que je qualifie de "non sableux" - entendez, non dunien.

Tant de factions s'affrontent pour contrôler le destin de cette humanité future, dans un demi-million d'années si j'ai bien suivi, que l'on ne peut que penser à cet univers herbertien d'après la Dispersion. Le Taj Rama, groupe d'amazones homosexuelles, évoque bien entendu le fameux Bene Gesserit. Les Nautes sont-ils une citation de la Guilde Spatiale ? Pourtant, à bien y réfléchir, l'univers de L'Histrion n'a pas grand-chose à voir avec celui des ultimes séquelles à Dune. C'est un univers où la puissance de l'Etat n'a pas encore fait défaut et où une organisation "supra-étatique", le Daym, constitue un noyau de l'unité future voulue par Genesis, là où le Maître imagine quelque chose de nouveau, à savoir l'instauration d'une véritable "souveraineté partagée" entre des factions tirant leur légitimité de leur suprématie économique ou intellectuelle - la notion de territoire devenant dès lors on ne peut plus floue. Tant de factions, dans ce livre, que l'on finit par s'y perdre. Il est difficile, bien difficile de savoir qui est quoi et qui est allié avec qui. On vole d'un monde à l'autre, d'un personnage à l'autre, et l'on finit par ne s'attacher à rien ni personne. Au bout de cent pages, le palimpseste mental qui se forme à la lecture se caractérise par un abondant volume de notes rayées... Mauvais signe.

C'est là que le personnage d'Aimelin(e) vient donner le coup de grâce au lecteur que je suis. Individualiste, ne songeant qu'à vivre sa vie, à être libre et ne se sentant aucune responsabilité à l'égard de l'espèce, son plaisir (son rôle ?) semble être de clamer aussitôt le contraire de tout ce qu'on lui dit. Un(e) véritable tête à claques. Un effet sans doute recherché (puisqu'il/elle est dans cette histoire pour jouer le rôle du sable dans les engrenages) mais que j'ai trouvé crispant : impossible pour moi de m'identifier ni de près ni de loin à ce personnage et donc, d'avoir un intérêt pour son destin. Il/elle me fait penser à ces gens qui bêlent sans cesse "liberté" pour justification de leur égoïsme : confier la construction d'une société plus mûre à pareil personnage, c'est fort, il fallait y penser... ou oser. Quelle déception.

Et donc, j'arrête les frais.

Ne manquez pas l'avis bien plus positif de chris.

Commentaires

chris a dit…
Bonjour,

J'avais beaucoup aimé ce livre même si j'ai suivi un parcours de lecture atypique : d'abord sexomorphose la suite, puis l'histrion. Le personnage murit un peu, il me semble. Cela a-t-il joué dans ma vision du personnage ?

Aimelin(e) m'apparaissait en un sens un personnage très "ayerdhalien" avec ce sens du sentiment de la révolte (adolescente?), -un non d'abord salutaire- avant de le canaliser dans la société...

Mais ma lecture est ancienne... Il faudrait que je m'y replonge pour voir... (après un 2e du challenge Mc Caffrey, peut-être...)
Anudar a dit…
Ah, j'ignorais qu'il y avait une suite...

J'ai déjà croisé des personnages qui ressemblent à Aimelin(e) chez Ayerdahl mais aucun qui soit autant tête à claque... Et je serais curieux d'avoir ton nouvel avis sur la question !
chris a dit…
Bonjour,

J'ai réalisé une petite chronique de l’œuvre.

Mais brièvement, j'ai pris beaucoup de plaisir à la relecture de cet ouvrage. La personnalité d'Aimlin(e) peut effectivement être un frein à l'immersion dans le roman, tout autant que la densité du roman par rapport à sa brièveté. Mais le personnage de "tête à claque" n'irriterait-il pas d'autant plus le lecteur ?

Il ne me semble pas que l'on soit dans un Etat non pris en défaut, mais dans une forme d'organisation des nations unies en gestion, qui tente d'acquérir les moyens de son action : amener les gens à une table de négociation pour limiter leurs penchants. Le Daym est voulu en ce sens comme une structure de régulation.
Anudar a dit…
Je vais prendre connaissance de ta chronique sans doute demain (je l'ai survolée pour le moment) et j'y réagirai là-bas. Dans l'immédiat, je te lie. Merci !