Seuls tome 9

On dirait que les publications, dans la série Seuls de Gazzotti et Vehlman, commencent à s'espacer : la dernière en date remontait à 2013, alors que jusqu'à présent la périodicité en avait été annuelle. Perte d'intérêt des auteurs pour leur oeuvre ? Plus grande difficulté à concevoir une intrigue alors que le premier album a maintenant pas loin de dix ans ? Je rappellerai ici le reproche que je fais à cette série à laquelle je suis pourtant fidèle : neuf albums, deux cycles, une histoire pas encore finie, c'est trop pour une série jeune public. Parmi les premiers lecteurs qui avaient dix ans au moment de la première parution, combien vont ouvrir cet album ? Parmi ceux qui ont dix ans à l'heure actuelle et qui découvrent cette série, combien vont dévorer les neuf albums disponibles puis laisser tomber dans cinq ou six ans - et peut-être moins de trois albums nouveaux ?
Résumé : 
Le groupe des enfants de Fortville s'est séparé. Dodji, Leila, Yvan et Terry, accompagnés par le Maître des Couteaux et des amis plus récents, partent en montagne où Dodji pense avoir vu quelque chose d'important lors de leur précédent voyage. Camille est restée à Néo-Salem, en compagnie de Saul, afin de mener sa propre enquête... Car une guerre des limbes se profile : dans ce monde étrange vivent des enfants venus de toutes les époques, figés au même âge depuis leur mort. Saul a été acclamé comme l'élu des "forces du bien" par les sages de Néo-Salem et Dodji pense être l'élu des "forces du mal", ce qui l'incite à mener cavalier seul pour trouver les réponses aux questions qui le harcèlent. C'est dans un village de montagne que se trouvent peut-être quelques indices... Mais les "dernières familles" qui tiennent la ville de Néo-Salem n'ont pas renoncé : l'inquiétant Achille est au trousses du petit groupe, déterminé à remplir sa mission. Quelle est-elle ? Dodji est-il "l'Enfant-Minuit" élu des "forces du mal" ?
L'éclatement du groupe de Fortville n'avait, au terme de l'album précédent, pris en rien les formes d'un schisme alors que de toute évidence l'ambiance pseudo-religieuse devenait un ressort fictionnel. Ce n'était pas la première fois que les cinq du départ étaient séparés - Dodji lui-même avait décidé de faire cavalier seul à un moment - mais c'était la première fois que l'un d'entre eux décidait de le faire pour des raisons qui n'étaient pas intrinsèques. Toujours indépendant, Dodji décide de suivre son chemin et plusieurs des autres le suivent, sauf la timide Camille, peut-être pas tout à fait insensible au charme de Saul - à moins qu'elle ne joue sa propre partition. Quoi qu'il en soit, c'est dans des montagnes enneigées que l'intrigue de l'abum se noue : les scènes à Néo-Salem n'occupent qu'une part mineure du temps fictionnel même si, avec l'apparition d'un nouveau personnage, elles soulèvent de nouvelles questions. Seuls commençait pendant l'Eté, puis le retour à Fortville se faisait à l'Automne. Cette fois-ci, l'Hiver est tombé sur les Limbes, et avec lui le froid et le mal font leur retour : on se croirait presque dans Le Trône de Fer !

Les auteurs nous ont habitués à délayer quelques découvertes importantes au beau milieu de scènes d'action ou de moments de tension psychologique. Ici, au détour d'une conversation téléphonique entre Yvan et l'un de ses amis resté à Néo-Salem, les auteurs parviennent à glisser une indication concernant le monde réel, celui des vivants... On apprend que l'entrée dans les limbes des enfants de Fortville a eu lieu dans un passé vieux de neuf ans au moins, pour les vivants : une astuce de scénario qui permettra de justifier à mon avis le décalage inévitable entre la technologie utilisée par les principaux personnages et le moment du début de la série. Aucun enfant de 2005 n'a eu l'occasion de manipuler par exemple une tablette tactile à l'époque, mais avec cette habile révélation les auteurs s'autorisent en fait à faire apparaître dans leur oeuvre des objets qui sont des objets du quotidien pour les enfants de 2015 sans perturber la continuité de l'ensemble. Seuls est donc une série évolutive et dont les arguments fictionnels sont assez robustes pour résister au passage du temps.

Alors, que vaut cet album ? Peu de moments potaches, plus sérieux dans l'ensemble que les précédents - avec même un certain nombre d'accidents violents et peut-être même de décès, il m'apparaît d'une façon nette comme celui d'une certaine transition vers la maturité. Je pense qu'il n'a pas dû être facile à écrire, pas plus qu'il n'a dû être facile à lire pour certains jeunes lecteurs, et cela explique peut-être aussi le long délai qui a séparé cette parution de la précédente. Ouvrant un nouveau cycle avec un nouveau retour à Fortville, Seuls repart peut-être bien sur de nouvelles bases. Pour les enfants de 2015 et pour ceux de 2005, comme pour ceux de 1980...

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