Mirror

Voici un roman auquel je ne me serais, c'est certain, pas intéressé s'il ne m'avait été offert par son éditeur. Un auteur allemand, une intrigue faisant appel à l'intelligence artificielle, un futur pas trop éloigné : voici des ingrédients de base qui méritaient pourtant toute ma curiosité. Quoi qu'il en soit, j'ai lu ce Mirror en assez peu de temps : place donc à ma chronique de lecture...
Résumé :
Le futur proche, et même tout proche : l'entreprise Walnut Systems a mis à la disposition du grand public le Mirror, pas tout à fait un smartphone, pas tout à fait un ordinateur de poche, pas tout à fait un objet connecté comme les autres car il s'agit en réalité d'une machine d'un concept nouveau. Véritable assistant de vie destiné à devenir le "meilleur ami" de son utilisateur, le Mirror a pour fonction d'améliorer son état de satisfaction : il est toujours de bon conseil, permet de trouver travail et nouvelles relations amoureuses, pallie aux handicaps physiques ou mentaux, et sa connexion permanente au MirrorNet garantit que toute solution trouvée pour un utilisateur sera déployée pour le prochain qui rencontrerait le même problème. Cent millions d'utilisateurs en ont fait un véritable partenaire de vie et se mettent à ne plus jamais réfléchir par eux-mêmes, car le Mirror sait se montrer très persuasif. La boîte de Pandore est-elle ouverte ? Quels sont les intérêts que sert le MirrorNet : ceux de ses utilisateurs, ceux de ses concepteurs... ou bien les siens propres ?
On le sait, je ne suis guère fan de dystopie : sans toutefois se qualifier tout à fait en tant que telle, cette histoire présente - et d'une façon nette - certains traits dystopiques ou pouvant conduire à une dystopie. Commençons par la fin : l'épilogue ainsi que la postface évoquent sans nuances les risques liés à l'intelligence artificielle. Sommes-nous prêts à partager notre monde avec une IA même programmée pour assurer le bonheur humain ? Dans quelle mesure nos habitudes quotidiennes, lorsque l'on en vient à parler d'ordinateurs et d'Internet, sont-elles en mesure du nous conduire au désastre même si nous avons les meilleures intentions du monde ? En termes d'informatique, nous avons déjà connu un certain nombre de "révolutions" : les années 80 ont assuré la prééminence du standard PC, les années 90 ont vu celle d'un système d'exploitation et d'une architecture physique propriétaires avec le quasi-monopole "Wintel", les années 2000 ont été celles de l'émergence des moteurs de recherche en tant qu'acteurs incontournables de l'Internet et en particulier le triomphe de Google, et les années 10 en cours seront de toute évidence celles des réseaux sociaux. Mirror nous conduit dans un futur tout proche, peut-être celui des années 20 à venir : la technologie Mirror emprunte à chacune de ces "révolutions" informatiques, en ce sens qu'elle repose à la fois sur un standard matériel, sur un système d'exploitation propriétaire, sur un moteur de recherche et sur un réseau social. Tout ceci est programmé pour garantir le bien-être de l'utilisateur : il suffit pour cela de se laisser guider par le Big Brother que l'on emmène dans sa poche.

Si l'idée de Karl Olsberg n'est en rien critiquable, à l'heure où la publicité ciblée n'est que le moindre des inconvénients liés à la fréquentation d'Internet, il est regrettable que sa démonstration soit aussi lourde et poussive. Lourde : ce qui détermine la chute du MirrorNet, c'est le fait que celui-ci décide bel et bien de mettre fin à une histoire d'amûûûûr - histoire qui, révélée sur Internet, finit par attirer l'attention de la planète entière, laquelle attention prendra en partie la forme du harcèlement pas toujours cantonné au monde virtuel. Poussive : le livre est divisé en trois "phases" dont le schéma peut se résumer d'abord par "tout va bien et c'est trop cool dans le monde merveilleux des hipsters de la Silicon Valley", puis par "les gens disent qu'il y a un bug, mais ce n'en est pas un, c'est une fonctionnalité" et enfin par "fin du monde en cours, veuillez débrancher le serveur pour annuler". Tout est bien qui ne finit pas bien : voilà que dans son épilogue l'auteur nous donne à voir une inquiétante réunion de pontes militaires, au Pentagone, qui se disent que tout compte fait une version militaire du MirrorNet à peine débranché vaudrait le coup d'être testée. Le lecteur de Dune que je suis n'a pu s'empêcher de se dire "chercheur-tueur" en son for intérieur et c'est, je l'avoue, l'un des seuls moments où d'après moi ce livre a su atteindre son objectif.

Il n'en reste pas moins que cela se lit bien, et se lit même très bien : malgré ses défauts, Mirror a un mérite, celui d'exister, puisqu'il nous rappelle - grâce aux réactions de ses personnages dont tous ne sont pas stéréotypés - que le plus souvent, Big Brother avance dissimulé sous les intentions les plus nobles, et que sa tyrannie est alors celle du conformisme. Iriez-vous acheter un MirrorBrain ? Accepteriez-vous de lui laisser prendre le contrôle de votre vie afin d'être plus satisfait que vous ne l'êtes en ce moment ? Il est probable que vous auriez tendance à vous dire "oui, mais je ne l'écouterais pas tout le temps". Tel est le véritable intérêt de Mirror, car la vraie question est alors de savoir jusqu'à quel point vous seriez capable de désobéir aux injonctions de la machine...

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