Autorité

Il y a un an et demi - déjà ! - je lisais et je chroniquais Annihliation de Jeff Vandermeer, l'ouverture de la Trilogie du Rempart Sud. Retour donc à l'univers de la Zone X avec ce deuxième livre sur les pages duquel reposait une immense responsabilité : celle de confirmer, tout en la renouvelant, la bonne impression faite par le premier tome...
Résumé : 
Control est un agent spécial envoyé au Rempart Sud afin d'enquêter sur le fiasco de la douzième expédition dans la Zone X : à nouveau, certaines de ses membres sont revenus changées. Elles sont revenues amorphes, à l'exception de la biologiste qui semble très peu décidée à coopérer. Alors que le Central semble déterminé à remettre en bon ordre les opérations du Rempart Sud, Control va découvrir la mauvaise volonté de la directrice adjointe qui n'est pas décidée à lui laisser pénétrer les petits secrets de sa supérieure, qui s'était jointe en secret à la douzième expédition. Mais enquêter sur le dernier fiasco en date revient à bien plus que de faire parler une biologiste entêtée : il faudra pour cela comprendre l'histoire truquée du Rempart Sud... et identifier le moment où se sont manifestées les premières anomalies de la Zone X. Jusqu'à quel point les personnels du Rempart Sud promis au démantèlement comprennent-ils leur sujet d'étude ? Et si la Zone X disposait d'une volonté propre - et s'apprêtait à s'étendre encore et encore ?
Le premier roman de la trilogie se déroulait au cœur même de la Zone X, en quasi huis-clos entre quatre femmes sacrifiées pour les besoins d'une expédition peut-être absurde. Elles y trouvaient des traces humaines en partie effacées - dont des journaux tenus par des membres des expéditions précédentes - mais aussi une nature devenue anormale ainsi qu'un monstre. Pour le lecteur, le monde extérieur était alors aussi inconnaissable que la Zone X l'était pour les personnages de ce livre : cette fois-ci, bien que le théâtre des opérations se trouve à l'extérieur de cette zone énigmatique, il s'agit encore et toujours d'un univers de danger au sein duquel au moins au départ la principale source de péril provient des manigances humaines et non des aberrations d'une nature devenue étrangère. Control prend conscience qu'au sein du Rempart Sud le mensonge ou au minimum l'altération de la vérité sont devenus des techniques de travail, alors que lui-même est manipulé par ses supérieurs au Central qui désirent tout à fait maîtriser le laboratoire de recherche sur la Zone X : pris entre le marteau et l'enclume, son enquête en sera d'autant plus épineuse et nébuleuse.

Qu'est-ce au fond que la Zone X ? De cette question, Autorité ne traitera presque pas même s'il est possible de formuler quelques hypothèses grâce aux idées qui surnagent. La Trilogie du Rempart Sud semble traiter des relations conflictuelles entre réalité et vérité : au-delà de la frontière, s'étend une réalité différente et sans doute hostile, à même de susciter des aberrations dont certaines s'exportent, et dont la moindre n'est pas la culture de paranoïa et du mensonge qui frappe les institutions chargées de son étude. S'intéresser à la Zone X, même sans y pénétrer, c'est déjà se tenir au seuil de la folie et d'une réalité affamée : tout comme un prédateur dispose un piège ou en recourt au mimétisme pour capturer ses proies, la Zone X contamine les esprits au-delà de sa frontière et favorise de la sorte sa propre expansion. C'est en ce sens au moins que l'enquête conduite par Control est vaine dès le départ : d'une certaine façon, Central sait déjà que tout va très mal tourner, comme le pressent le lecteur dans les trois premiers quarts du roman qui, par leurs assauts de normalité, apportent un étonnant et parfois longuet contrepoint au premier roman.

Vue de l'extérieur, la Zone X apparaît moins inquiétante que vue de l'intérieur - mais elle n'en est pas moins menaçante, même si cette menace met un peu trop de temps à se concrétiser. Autorité en ressort donc moins réussi qu'Annihilation même si, le fantastique et l'horreur s'y infiltrant touche après touche, il se révèle bien plus borgésien que son aîné. J'ai dit plus haut que la responsabilité de ce livre était immense : de ce fait, celle qui pèse sur les pages du prochain l'est d'autant plus que les mânes de Lovecraft et de Borgès ont déjà été invoquées. J'avoue être curieux de savoir si l'auteur sera capable de remporter son propre pari...

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