Dragon

Dans la collection Une Heure-Lumière du Bélial', je demande Thomas Day dont j'avais feuilleté le Dragon aux Utopiales 2017 : il était temps peut-être de découvrir enfin ce livre assez court et pourtant très troublant...
Résumé : 
Tann est un policier à qui sa hiérarchie confie une affaire hors du commun. Dans les bas-fonds de Bangkok, un tueur s'en prend aux violeurs d'enfants : si nul n'ose remettre en question le bien-fondé de la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, les autorités ne souhaitent pas qu'un vent de panique vienne compromettre la reprise du tourisme dans cette Thaïlande des années 2020 tardives où, entre changements climatiques, post-humanisme balbutiant et retour à une certaine stabilité politique, le discours des ONG doit user de subterfuges pour être entendu par les hautes sphères... Dragon n'a que faire des compromis et des apparences : il est la justice faite chair, faisant le mal pour faire le bien et laissant derrière lui, sur la scène de ses crimes, une carte de visite montrant que les violeurs n'ont plus d'abri. Tann pourra-t-il trouver où et qui est Dragon ? Et si oui... à quel prix ?
Le sujet de ce livre est dur. Même si Thomas Day ne décrit presque rien des atrocités que subissent les enfants que Dragon a décidé de venger ou de protéger, certains passages sont presque insoutenables en ce sens où ils donnent à entendre une réalité horrifiante, celle de l'exploitation sexuelle des plus fragiles pour le plus grand bénéfice du crime organisé. Sous la plume de l'auteur, les bordels temporaires de Bangkok mais aussi les réflexes des petits prostitués sur le trottoir font système, un système glaçant que l'on imagine - hélas - conforme à une réalité sordide. Les victimes, dans Dragon, sont seules face à une institution informelle et présentée comme séculaire - un patriarcat d'abuseurs - ne pouvant tout à fait compter sur une police peut-être débordée, peut-être en partie complice, ou peut-être les deux à la fois.

Dragon est un véritable ange de la vengeance : il s'en prend aux clients et aux patrons, et il libère les petites victimes, mais il n'est pas tout à fait un justicier. Son but réel est systémique : il s'agit de mettre fin aux compromissions et à la corruption qui, au fil des ans, permettent à l'exploitation sexuelle des enfants de prospérer en Thaïlande. En ce sens, Dragon est un révolutionnaire : moins qu'un homme, il est un costume - ou peut-être même une simple idée, contagieuse et violente qui se répand depuis un souvenir d'enfance. Dragon, ce peut être tout le monde et c'est donc personne : repenti, policier, il accomplira de toute façon la mission qu'il s'est assignée.

Cette idée contagieuse qu'est Dragon, et qui se substitue aux individualités qu'elle infecte, rattache à elle seule ce texte au genre du fantastique. Dragon est une créature du folklore mondialisé - plusieurs mythologies bien différentes possèdent leurs propres dragons - qui a compris que sa place est dans la rumeur et la légende, seuls endroits depuis lesquels il pourra faire assez peur aux clients et aux patrons de l'ignoble trafic pour que celui-ci s'arrête enfin. La méthode est radicale et sans doute efficace, assez en tout cas pour contraindre les autorités à changer leur fusil d'épaule : quand une fosse à purin déborde, c'est qu'il est temps de la purger quelle qu'en soit la profondeur. La démonstration du roman est d'une cruauté ainsi que d'une efficacité clinique, proposant un chapitrage à l'ordonnancement inhabituel et en apparence désorganisé mais qui finit par exprimer le véritable propos de Thomas Day : Dragon ne disparaîtra pas avant que n'aient été arrêtés les derniers patrons et les derniers clients de l'affreux commerce. Au fond, Dragon n'est-il pas notre mauvaise conscience devenue agissante ?

Ne manquez pas les avis de LorhkanBouch', Tigger Lilly...

Commentaires

Elhyandra a dit…
Une intrigue bien ficelée et une bonne claque dans la tronche, j'ai beaucoup aimé ce livre même si le thème est dur et tristement réel
Anudar a dit…
C'est un livre très puissant et qui fait froid dans le dos... parce que le lecteur sait que derrière la fiction se trouve une atroce réalité.