Le Continent perdu


Je n'ai pas souvent eu l'occasion de parler de Greg Egan en ces lieux : à l'exception du recueil Axiomatique (lu et chroniqué au tout début de l'histoire de ce blog), à vrai dire, cela n'est jamais arrivé. Teranesia se trouvant dans ma pile à lire depuis une quinzaine d'années, je savais que ce ne serait sans doute pas pour la dernière fois non plus - mais ayant retrouvé quelque part ce texte court, qui se trouvait en souffrance depuis pas mal de temps, il se trouve que l'occasion s'est présentée plus tôt que prévu...
Résumé : 
Le Khurossan est une région déchirée par la guerre depuis une éternité. Venus d'un monde parallèle, des fanatiques religieux y ont amené des armes modernes et leurs lois brutales... Ali, dont la famille a subi leur justice arbitraire, doit fuir ailleurs lui-même : au-delà des tempêtes de sable, en plein désert, se trouvent les ponts vers d'autres mondes... là où est le pays de Cocagne à ce que l'on raconte et, en tout cas, la sécurité. Ce monde plus sûr qu'il espère tant, jusqu'à quel point ressemble-t-il au sien ? Pourra-t-il y trouver sa place ?
Comme je l'avais déjà noté dans ma chronique d'Axiomatique, Egan semble s'intéresser à la SF en contexte humain. L'histoire du Continent perdu, qui repose sur l'argument des mondes parallèles, confirme en tout cas mon impression : le narrateur et personnage principal de cette nouvelle ne dispose pas de l'expérience scientifique nécessaire à l'analyse de son périple et de son multivers - impliquant ainsi, pour le lecteur, une ignorance de ses principes de fonctionnement. Le schéma du Continent perdu est plutôt celui d'une histoire d'exilé : on fuit souvent un danger que l'on comprend, tout en espérant trouver mieux à l'arrivée - sans toujours prévoir que la destination comporte ses propres pièges dont tous ne sont pas les plus évidents. Le moral d'Ali va osciller ainsi entre l'angoisse, la satisfaction, l'apathie désespérée puis l'espoir enfin : les gens qui se trouvent de l'autre côté du pont ne sont au fond ni meilleurs, ni pires que ceux du Khurossan... et si leur monde est différent de celui d'Ali, les circonstances y ont parfois des conséquences tout aussi inquiétantes.

Publié en 2008 soit donc plusieurs années avant la crise migratoire ayant vu des réfugiés lybiens ou syriens risquer leurs vies pour atteindre une Europe mi-accueillante, mi-méfiante à leur égard, Le continent perdu semble presque le fruit d'une véritable prescience à dix ans ! Transposant avec une certaine adresse la problématique des réfugiés dans un contexte de mondes parallèles, Egan parle du monde contemporain à son lecteur, et de l'absurdité qui conduit les exilés à devoir justifier pourquoi ils ont bravé les dangers de la route à des responsables méfiants voire méprisants. Tout en haut, se trouve un pouvoir politique moins préoccupé d'humanité que de réélection - mais par chance, tout en bas se trouvent des citoyens ordinaires plus disposés à entendre la plainte qu'émettent les réfugiés. La tranche de vie d'Ali - fuyard, puis exilé, puis perdu au fond dans un monde qui n'est pas le sien - a donc la saveur douce-amère de l'humanité...

Commentaires

XL a dit…
bonsoir, Tu as lu Eldorado de Gaudé ?
Anudar a dit…
Salut !

Non, je ne l'ai pas lu... il est bien ?
Anonyme a dit…
Je n'ai pas lu celui-là,mais le thème m'intéresse, une histoire d'exilés.
C'est vrai c'est à rapprocher de El Dorado de Gaudé qui abordait l'errance des migrants qui perdent leurs chimères au fur et à mesure.
Je pensais aussi à De l'autre côté de Leo Henry.
Carmen.
Anudar a dit…
Merci pour cette précision !

Je n'ai que très peu lu Leo Henry sinon pas du tout, je retiens ce titre si je le croise... merci !