Mammuth

Cela faisait un moment que j'avais envie de voir ce film. La thématique m'en apparaissait très contemporaine, en ces temps où un gouvernement soumis aux ordres de la finance et du capitalisme ne fait pas mystère de sa volonté de brader une avancée majeure de la protection sociale...

Résumé :
Serge (Gérard Depardieu) a soixante ans. L'âge de la retraite, une retraite bien méritée car il travaille depuis plus de quarante ans... Hélas pour lui, sa vie professionnelle a été morcelée en une multitude de petits boulots pour lesquels il n'a aucun justificatif. Il n'a donc droit qu'à une retraite fort peu complète... Lui et sa femme, caissière dans un supermarché, font donc face à une alternative simple : ou bien Serge valide ses trimestres auprès de ses anciens employeurs (il peut aussi les racheter, mais il n'en a pas les moyens), ou bien ils vivront dans la pauvreté jusqu'à la fin de leurs jours. Serge doit donc entamer le tournée de ses anciens employeurs en espérant qu'ils accepteront de lui faire les papiers salvateurs... Et il va devoir le faire au guidon de sa vieille moto modèle Mammuth, une pièce de collection, puisque leur voiture n'a plus de pare-brise. C'est l'occasion pour Serge de reconstituer sa vie, de faire le point sur son passé ainsi que son présent. Car pour lui, un souvenir de son lointain passé hante son présent. Il lui faudra des retrouvailles avec certains membres de sa famille pour réaliser quelle est la seule chose à faire pour régler ses problèmes.

Mammuth, c'est avant tout une image très particulière : granuleuse, pas toujours très lumineuse, avec laquelle il est difficile d'accrocher dans un premier temps. Elle remplit cependant bien sa fonction. L'univers dans lequel Serge évolue lui est en grande partie peu compréhensible. Un peu tard, il se rend compte que ses choix de vie - en particulier, son refus de l'école lorsqu'il était adolescent "parce que les profs l'emmerdaient" - lui valent de s'être interdit de comprendre que le monde n'était pas bienveillant ni même indifférent, mais bel et bien hostile pour ceux commme lui. Du coup, ses employeurs se sont foutus de lui, "parce qu'[il était] con". Et maintenant, la jeune génération égoïste se fout de lui et de ses problèmes, obnubilée par les siens. Parce qu'eux, qui savent qu'il faudrait avoir un travail déclaré, ne décrochent que des emplois au noir. Et parce qu'ils craignent de n'avoir jamais de retraite : alors celle des vieux, quelle importance ? Un monde où la société se déchire déjà entre générations, une image inquiétante, et par dessus les "apparitions" de la jeune femme que Serge aimait quand il était jeune et qui est morte sous sa responsabilité à la suite d'un accident de moto...

Serge finit par comprendre que sa quête est sans espoir. Entre les employeurs qui ont disparu ou qui se foutent encore de lui, sa vie professionnelle ne pourra pas être reconstituée. Mais une lueur d'espoir apparaît en la forme de sa nièce, une jeune femme un peu chtarbée qui se fait appeler Miss Ming (c'est aussi le pseudonyme de l'actrice, qui semble très bien jouer son propre rôle). Elle réalise des oeuvres d'art un peu sinistres, est réfractaire au travail (expliquant aux gens qui lui font passer des entretiens d'embauche qu'elle a écrit son CV sur du papier toilette avec le sang de ses règles) et a une bande de copines pour qui "faire un golf" signifie aller remplir les dix-huit trous avec de l'urine... En fin de compte, cette fin d'Eté sera un peu comme des vacances pour Serge. Des vacances où il comprendra ce qu'il aurait fallu comprendre bien des années auparavant.

Mammuth est en fait un film sur le lumpen-prolétariat, ces personnes très peu qualifiées qui sont prédisposées, à cause de leur misère culturelle et intellectuelle, à la précarité sociale. Tant que la société maintient des garde-fous pour protéger ceux qui en ont le plus besoin, leur situation n'est pas si mauvaise. Mais lorsque cette même société en vient à considérer que les richesses employées à cette protection seraient mieux dans les poches de quelques nantis, voilà au juste à quoi on en arrive : au mépris entre générations, à l'arnaque permanente et en définitive à la décomposition sociale.

Ce n'est pourtant pas un film misérabiliste. Certaines scènes sont hilarantes. L'attitude de la femme de Serge (Yolande Moreau, excellente !), pour qui le summum de l'abus de pouvoir de son chef consiste à l'affecter une semaine à la poissonnerie, est tout à fait convaincante et en même temps très amusante. Surtout lorsqu'elle s'avise de partir, furieuse et soutenue par une de ses copines, armée d'une pelle et d'acide chlorhydrique, à la recherche de la femme qui a volé à son mari le portable qu'elle lui a prêté avant son départ ! La conclusion fait presque un peu attendue car elle est la seule qui soit logique. Pour gagner sa retraite, Serge devra intégrer une bonne fois pour toutes le fait qu'il n'est plus un adolescent. Ce qui nécessitera un sacrifice. Mais lui permettra, par ailleurs, de comprendre qu'il tient à sa femme, celle qui est vivante, pour de vrai.

Commentaires

Gromovar a dit…
Un peu dans le même style "8 fois debout" était parait-il très bien et je l'ai raté au cinéma :-(
Guillmot a dit…
J'ai beaucoup aimé ce road movie improbable, intimiste, portrait de la société, pépite signée Délépine et Kervern (plus connus pour leur participation à Groland). Les deux couples sont vraiment excellents : Depardieu / Moreau et Depardieu / Adjani.

Je vais voir là chaque fois les films avec Yolande Moreau, j'adore le talent de cette actrice !
Anudar a dit…
@Gromovar : je n'ai pas entendu parler de ce film en dehors de son titre... Si tu peux m'en dire plus ?

@Guillaume44 : d'accord avec toi. Yolande Moreau est une vraie bonne actrice, très convaincante. Le jeu d'Isabelle Adjani en fantôme est glacé mais pas glacial. Je préfère néanmoins le couple Depardieu/Moreau...