Les Visiteurs du Soir

Avant-hier, j'ai eu l'occasion de voir ce film en version numérisée. J'en avais vu le début un jour à la télévision, il y a donc des années : pouvoir le voir en entier au cinéma (dans une petite salle, faut-il le préciser) avait donc une saveur toute particulière.
Résumé : 
Gilles et Dominique, deux ménestrels, arrivent au château du baron Hugues alors que celui-ci donne fête sur fête en raison du mariage tout proche de sa fille Anne. L'ambiance, au château, n'est cependant pas des plus agréables, car le futur mari de la jeune femme est un homme dur, qui ne conçoit pas le mariage comme un engagement amoureux mais comme un titre de propriété ! Aussi voit-il d'un très mauvais oeil l'effet des chansons de Gilles sur sa future. Ce qu'il ne sait pas, c'est que Gilles et Dominique sont des âmes damnées, envoyées par le Malin lui-même pour semer le désespoir sur Terre. Pris dans un faisceau de sentiments contradictoires, le baron et son gendre ne risquent-ils pas de perdre tout ce qui leur est cher ? Et Gilles, qui aime de temps en temps faire le bien, que risque-t-il s'il désobéit à son maître ?
La présence d'éléments tout droit sortis d'un conte de fées permet de considérer très tôt ce film comme une oeuvre fantastique. Dans ce Moyen-Âge fantasmatique, des créatures très peu humaines semblent se jouer de la distance, lire dans les esprits et même connaître le destin. Le temps peut se figer par la magie d'un accord joué sur un instrument de musique ; l'apparence même de certains personnages, et de ce fait le regard porté sur eux par les autres, peuvent changer d'un seul coup. Le film s'affirme donc très vite comme un conte à morale inscrit dans une tradition : dans cette histoire, la victoire du démon n'est qu'apparente comme en témoigne sa rage finale et, a contrario, ce sont les personnages humains qui sortent vainqueurs de leur confrontation avec le mal. Il est difficile, à ce point, de ne pas considérer la date de sortie de ce film d'un oeil intéressé : en 1942, la France est exsangue et sous la botte allemande ; dans cette histoire où le Malin et ses sbires s'invitent à une table humaine, la mise en relation symbolique avec la situation contemporaine est évidente. La métaphore n'a d'ailleurs, semble-t-il, pas échappé aux spectateurs de l'époque...

Les Visiteurs du Soir, c'est aussi une oeuvre au charme désuet. A notre époque où le moindre film est bourré d'effets spéciaux plus vrais que nature, quel plaisir de guetter les raccords, de voir les acteurs qui se figent - parfois avec plus ou moins de succès - quand le "temps s'arrête", et de repérer les superpositions de pellicule pour expliquer les apparitions et les disparitions de certains personnages. Quel plaisir, aussi, de se plonger dans un Moyen-Âge de carton-pâte où les ménestrels chantent l'amour courtois (mais pas toujours très platonique, semble-t-il) et où les costumes sont flamboyants... dans tous les sens du terme !


Les développements sentimentaux de cette oeuvre pourront apparaître interminables mais il convient de ne pas oublier qu'ils sont, eux aussi, caractéristiques d'une époque : on ne questionnait pas alors la frontière entre l'humain et l'inhumain selon les mêmes règles qu'à présent. Et somme toute, le plus important n'est-il pas  qu'à ce jeu, même le Malin, qui pourtant détient les cartes maîtresses, n'est pas certain de l'emporter à la fin ?

Commentaires

Guillmot a dit…
Un chef d'oeuvre.
Anudar a dit…
Méconnu, de surcroît.