The Delirium Brief

A nouveau un Charles Stross, et à nouveau un de ses romans du Cycle de la Laverie, en l'occurrence le dernier paru, que j'ai lu en version originale...
Résumé : 
Bob Howard, qui jadis a été simple démonologiste computationnel à la Laverie et se retrouve de plus en plus souvent sur la première ligne face aux horreurs qui prolifèrent entre les trames de la réalité observable, se rend compte qu'il existe peut-être bien une chose pire à ses yeux que de faire face à des vampires ou même que d'aller enquêter sur les inquiétants travaux d'Angleton, son prédécesseur disparu quelques mois plus tôt... et que c'est bel et bien se retrouver sous le regard inquisiteur des caméras de télévision afin de répondre aux questions d'un des requins du petit écran ! Suite à l'invasion elfique manquée de Leeds, plus personne dans le monde ne peut plus nier l'existence du paranormal et la Laverie, désignée par les tabloïds comme le "Ministère de la Magie", doit livrer un combat auquel aucune agence de sécurité magique ne peut être préparée, son existence étant par nature même tenue secrète. Pourtant, le travail continue : aux Etats-Unis, l'une des agences vouée au paranormal est sur le point d'être démantelée au bénéfice d'une de ses concurrentes, laquelle agit pour le compte d'un pouvoir d'envergure supérieure... et ce n'est que l'un des éléments alarmants qui affligent Bob Howard, car un vieil ennemi qu'il croyait disparu à tout jamais fait sa réapparition sur le sol britannique, toujours aussi déterminé à imposer l'ordre de son maître, une entité paranormale piégée sur une planète morte et qui ne demande qu'à se réveiller. Alors que Bob se débat dans les arcanes d'une vie de couple perturbée par ses nouvelles aptitudes, pourra-t-il empêcher sans trop de casse la subversion du gouvernement britannique tout entier ?
J'avais été un peu déçu par les deux précédentes livraisons : avec les super-héros d'abord puis les elfes ensuite, Stross continuait à explorer certaines figures de l'imaginaire contemporain à travers le prisme de la Laverie ; mais j'avais trouvé ces deux tomes plus faibles que le premier de cette trilogie interne à son Cycle, celui où il s'agissait rien de moins que de parler de vampires. La raison en était simple : cet univers de la Laverie trouve une bonne partie de son intérêt dans le rôle joué par Bob, véritable personnage de anti-héros, jamais minable et pourtant si fragile face à des forces dont il sait qu'elles le dépassent ; et pourtant, Stross avait choisi de faire s'absenter Bob des deux derniers romans dans la série, au bénéfice de Dominique O'Brien - son épouse violoniste et badass - et d'Alex Schwartz - jeune mathématicien devenu vampire - deux personnages qui, s'ils ne manquent pas d'intérêt, n'étaient pas en mesure à mon goût d'occuper le trône anti-héroïque avec autant de talent que Bob. J'étais donc très enthousiaste à l'idée de voir le personnage principal de la série faire son come-back et - je l'avoue - je n'étais pas loin d'éprouver une joie sadique en me demandant quels atroces artifices l'auteur allait inventer pour malmener Bob comme il se doit. Le moins que je puisse dire, c'est que la déception n'a pas été au rendez-vous. Il semble bien difficile de faire plus horrifiant, à chaque livraison d'un nouveau tome du Cycle de la Laverie, et pourtant Stross parvient-il encore et toujours à étonner son lecteur ! Toujours plus malsaines, les entités d'outre-espace-temps qui affligent le quotidien des employés de la Laverie - Bob en tête - comptent cette fois-ci sur un cycle de reproduction guère moins répugnant que celui de l'Alien, à ceci près que si le xénomorphe se contente de vous tuer à l'éclosion, les immondes créatures destinées à prendre le contrôle d'un pays entier préfèrent parasiter votre appareil génital et prendre le contrôle de votre système nerveux. Et peut-être aussi de vous voler votre âme, par la même occasion...

Sans ses allusions fines à la politique britannique et internationale, ce livre ne serait pas tout à fait de Stross. A nouveau, force est de constater que le contrat est rempli : on éclatera de rire bien sûr à l'évocation de la chevelure du plus médiocre des chefs d'Etat occidentaux élus en novembre 2016, et à celle de l'ex-président français accompagné de son épouse star de la chanson... Mais ce sur quoi Stross tire à boulets rouges, c'est rien de moins que la politique de privatisations tous azimuts d'un gouvernement britannique dépassé par les événements. Dans cet univers à la saveur de parodie, le Premier Ministre britannique n'est pas une femme comme c'est le cas en ce moment même dans le monde réel, et pourtant, on devine sans difficultés que les deux - celui de la fiction, et celle de la réalité - partagent un goût très sûr pour une certaine idéologie politique, celle que l'on dit parfois conservatrice, ou néo-conservatrice, alors qu'il vaudrait mieux la qualifier de réactionnaire. Pour le Premier Ministre de The Delirium Brief, l'invasion manquée de justesse dans le tome précédent est un prétexte à une nouvelle privatisation de service public, destinée moins à l'amélioration du service rendu qu'à l'enrichissement de personnalités - ou de sociétés privées - réputées "amies". Corrosif portrait de politiciens qui, pour garantir une épaisseur confortable à leur compte en banque, sont prêts à conclure un pacte avec le diable - presque au sens propre de l'expression. Car de l'autre côté de la table des négociations, il n'y a rien de moins que les très puissants intérêts d'une église évangéliste américaine déjà rencontrée dans The Apocalypse Codex, laquelle pratique un mélange très subtil et très... intime... entre corruption, prédication, conspiration, séduction et parasitisme. Ayant analysé avec soin les causes de sa première déconfiture, le gourou de la secte patron de l'entreprise chef spirituel de nouveau mouvement religieux a revu ses ambitions à la hausse. A ceci près qu'il agit peut-être lui-même dans l'urgence...

Pour les personnages de Charles Stross, la résolution de la situation ne se fera pas d'une façon très satisfaisante. Tous ceux qui savent, dans cette histoire, n'ignorent pas que l'espèce humaine telle qu'on la connaît est condamnée par un événement d'extinction majeure à venir, le CASE NIGHTMARE GREEN. Et ils savent aussi que l'éveil des super-héros, puis l'invasion elfique de Leeds et à présent la tentative de subversion du gouvernement britannique n'en sont que la préfiguration. Se concluant sur une tonalité amère, ce tome est sans nul doute l'un des plus réussis du Cycle : il est bien difficile de ne pas y trouver l'expression, au-delà de son contexte interne, de cette Histoire contemporaine bien réelle qui, parfois, bute sur une véritable annus horribilis telle que 2016. Les personnages de ce livre vivent l'horreur cosmique : celle-ci nous rappelle, à nous, que l'horreur prend parfois d'autres formes que celles de l'imagination, et que les monstres ne sont pas tous de fiction. Bravo !

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