La chasseuse de trolls

Lu grâce à la sympathie de son éditeur, voici ma chronique de ce livre de Stefan Spjut paru il y a quelques semaines.
Résumé : 
Susso tient un site Internet consacré aux trolls, un sujet qu'elle prend très au sérieux car son grand-père, aviateur photographe, a un jour immortalisé une scène étrange... celle d'un être humain de toute petite taille chevauchant un ours. Le troll du grand-père, bien que connu de toute la famille, n'a pas empêché celle-ci de connaître querelles et séparation - et Susso le sait, beaucoup de gens hormis les cryptozoologues les plus cinglés vouent un réel intérêt à son travail. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que le troll jadis photographié par son grand-père n'est pas le seul qui existe en Suède - et que ces êtres ont un intérêt malsain pour les enfants humains... Certaines disparitions inexpliquées d'enfants, par le passé, pourraient en effet avoir un lien avec l'existence des trolls et leur vie aux marges de la civilisation humaine. Aussi, quand Susso démarre une enquête plus poussée, elle ne se doute pas qu'elle va peut-être mettre au jour des secrets vieux de plusieurs décennies. Saura-t-elle échapper à la colère des trolls et à leurs sbires humains ?
Il y a quelques années j'évoquais ici Les cryptides, une série jeune public fondée sur l'argument cryptozoologique : on pourrait dire que La chasseuse de trolls est un roman dont l'argument est celui d'une cryptoanthropologie - soit donc, une science ou pseudo-science professant l'existence actuelle d'autres espèces humaines que la nôtre. Les trolls de Stefan Spjut peuvent endosser une apparence humaine - au point de pouvoir se reproduire avec Homo sapiens - mais peuvent aussi se faire animaux, d'une taille allant de celle d'une souris à celle d'un ours, et de ce fait se rendre inaperçus. Les trolls disposent par ailleurs de pouvoirs surnaturels : ils savent projeter leurs idées voire même imposer leur volonté aux gens qu'ils rencontrent. Les trolls ne s'expriment qu'avec une grande difficulté - ce qui les rend tributaires d'individus humains qui les aiment et les craignent à la fois, car les trolls peuvent se montrer d'une extrême dangerosité. Le paradoxe de cette construction, c'est que les trolls - bien que capables de faire comprendre avec exactitude ce qu'ils désirent - se retranchent eux-mêmes de l'humanité. Alors, sont-ils humains ? En apparence oui, mais leur société (si tant est qu'ils en aient une) en revanche ne l'est pas. Sous leurs ordres, leurs prisonniers doivent vivre à la marge et se faire assez discrets pour que la civilisation humaine reste ignorante - ou à tout le moins que l'humanité puisse continuer à croire qu'elle est seule sur Terre. L'argument aurait pu ne pas manquer d'intérêt : à peu de choses près, c'est celui que Charles Stross utilisait dans The Nightmare Stacks. Le fait est, comme on va le voir sous peu, que Stefan Spjut prend une direction tout à fait différente.

Relatant l'enlèvement du petit Magnus à la fin des années 70, le premier chapitre s'avère tonique et en effet mystérieux : on comprend que dans le pavillon en bordure de forêt où lui et sa mère vont passer quelques jours de vacances se trament des événements inquiétants. Les apparences, dans ce roman, sont trompeuses dès les premières pages : certains animaux ne sont pas des animaux, certains individus semblent n'être que des marginaux alors qu'ils sont de vrais criminels, et certains délires ont plus de substance que la raison elle-même. Toutefois, l'effet retombe vite : sitôt une époque plus contemporaine atteinte - l'intrigue est censée se dérouler en 2005 - les chapitres se font brefs et hachés, alternant sans réelle justification d'un fil d'intrigue à l'autre. Les personnages n'ont que peu d'épaisseur et finissent (pour certains antagonistes en particulier) par être interchangeables : semblant se rendre compte du tissu fragile des relations interpersonnelles dans cette histoire de familles dysfonctionnelles, l'auteur tente une humanisation au forceps de certains protagonistes en insistant sur leurs nécessités physiologiques ou leur consommation de snus quand ce n'est pas de café. Le voyage commence pour des raisons peu inoubliables, se poursuit d'hôtel minable en auberge de jeunesse, à bord de véhicules variés (de la voiture, dont l'auteur n'omet presque jamais de mentionner la marque, au scooter des neiges), faisant rencontrer de façon linéaire à Susso et à ses deux accompagnants une très longue théorie d'individus que la vie et les trolls, à un titre ou à un autre, n'ont guère ménagés. C'est après six cents pages qui semblent en durer six cent mille que l'auteur consent enfin à expédier en quarante pages la libération de quelques-uns des captifs des trolls et à planter le décor du second volume... parce que, oui, La chasseuse de trolls n'est que la première moitié d'un diptyque !

Il arrive parfois que la lecture du premier volume d'un ensemble déçoive mais que l'on perçoive malgré tout, derrière l'échec patent de l'auteur à conquérir son public, une ambition et une intention qui méritent que l'on poursuive l'effort en se disant que - parfois - le meilleur est à venir. Ici, ni l'imaginaire à l'oeuvre ni les procédés de narration ne donnent envie d'aller plus loin : qui aurait envie d'endurer à nouveau pareil interminable road-movie à travers la Suède, enneigée ou non, avec ou sans sachet de snus entre lèvre supérieure et gencive ?

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