L'automate de Nuremberg

  

Il y a un an, je lisais L'automate de Nuremberg de Thomas Day pour le compte de la revue Bifrost. Il est donc temps d'en republier la chronique sur mon blog...

Résumé : 
Melchior Hauser est un automate joueur d’échecs. Bien que construit à Nuremberg, il se trouve à la cour du Tsar quand la Russie pose les armes devant Bonaparte… Doué de conscience et d’une capacité limitée à envisager le monde et à interagir avec l’être humain, Melchior saisit alors l’occasion de revenir auprès de son créateur et d’obtenir de lui les améliorations dont il a besoin. Ce qu’il ne sait pas, c’est que ses deux frères – Kaspar l’enfant ramené à la vie par le fluide électrique, et Balthazar le pur esprit en bouteille – sont aussi en train de tracer leurs destins, au moment même où le monde est en train de changer... 

Le début du XIXème siècle est une époque troublée en Europe : dans les décombres de l’épopée napoléonienne, alors que la révolution industrielle commence à donner ses premiers feux en Grande-Bretagne et alors même que les travaux de Lavoisier viennent à peine d’inscrire la chimie au corpus des sciences dites dures, il reste encore quelques mages prêts à poursuivre les mêmes chimères – alchimiques et vitalistes – que leurs prédécesseurs parfois lointains.

C’est dans un contexte uchronique mais pourtant compatible à celui-ci que Thomas Day inscrit son Automate de Nuremberg. La retraite de Russie de 1812 a été suivie du siège de Paris puis d’une contre-attaque : l’Empereur parvient à vaincre le Tsar et à lui arracher un traité de paix léonin qui le rend tout à fait maître de l’Europe. L’époque n’est pourtant pas apaisée : l’Europe est exsangue et pour financer la révolution industrielle naissante il va falloir aller piller l’Afrique et l’Asie. Les soldats de Bonaparte, après avoir "pacifié" l’Espagne, vont participer à "l’œuvre de civilisation" et entretenir le trafic d’esclaves : l’uchronie de ce court texte n’est donc en aucun cas positive, et semble même assez désabusée.

Le lecteur appréciera dans ce texte les éléments d’imaginaire qui le connectent à d’anciennes traditions. Le personnage historique de Kaspar Hauser y est présenté comme un nourrisson réanimé par une technique vitaliste ayant altéré son cerveau – et par conséquent comme un lointain avatar du monstre de Frankenstein ; l’automate éponyme, Melchior Hauser, n’est au départ que l’une de ces machines joueuses d’échecs dont les cours d’Europe étaient friandes ; le troisième des "frères" Hauser, qui porte quand à lui le nom de Balthazar – le dernier des Rois Mages – n’est autre qu’un pur esprit à conserver dans une bouteille, de peur qu’il ne s’étiole… ou ne s’échappe pour le malheur du monde. Ces trois êtres qui semblent incarner chacun l’une des spécificités de l’humanité – le corps, l’esprit et l’âme – ont des relations conflictuelles qui évoquent bien les dilemmes intérieurs que chacun de nous éprouve tôt ou tard. Dans ce conte cruel où il est question d’une époque révolue avant même d’avoir eu lieu, Thomas Day parle à nouveau de la condition humaine – que ce soit dans le cadre étroit de l’expérience du présent ou dans celui plus large de l’écosystème social – et il le fait avec un talent consommé...

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