La Princesse au visage de nuit

David Bry et ses mondes souvent poétiques ont déjà été lus sur ce blog : ce roman, au titre peut-être plus énigmatique encore que les précédents, s'éloigne comme on va le voir un peu de la fantasy pour s'orienter vers l'horreur.
Résumé : 
Hugo a quitté son village natal vingt ans plus tôt, extrait de sa famille par les services sociaux, et c'est pour lui un véritable pensum d'avoir à y revenir pour les obsèques de ses parents - décédés dans un accident de la route - alors qu'il ne les a plus revus depuis. La policière qui l'accueille sur place lui fait assez vite part de ses doutes : il semble que la voiture de ses parents ait été sabotée. Il se trouve que la policière est la sœur d'une amie d'enfance de Hugo, disparue dans les bois en même temps qu'un autre ami le soir de son placement. Le drame d'il y a vingt ans semble faire écho à celui du présent, d'autant plus que des objets perdus à l'époque se mettent à refaire surface... Pour Hugo, qui n'a aucun souvenir de la soirée fatidique, il devient peu à peu évident que la solution de l'énigme se trouve dans le passé. Qui rôde autour de la maison de ses parents ? Qui dessine sur les murs le "signe de la princesse", connectant le présent troublé aux étranges jeux d'enfants auxquels lui et ses amis jouaient autrefois ? Et surtout... qu'est-ce qui se cache dans les bois ?
Il est difficile, au cours et au terme de cette lecture, de ne pas penser à l'oeuvre de Stephen King et en particulier à son roman Ça et à sa nouvelle Les enfants du maïs. On retrouve en effet ici l'importance donnée à l'enfance et à ses jeux - y compris dans un contexte malheureux - mais aussi au passage du temps et à son caractère parfois cyclique. Les deux amis d'enfance de Hugo, disparus dans les bois vingt ans avant le début de l'histoire, constituent ainsi avec lui un premier groupe de "Ratés" auquel répond le deuxième groupe d'amis formé cette fois-ci à l'âge adulte. Cette impression étant acquise assez vite, le lecteur initié à King va chercher d'autres correspondances et en particulier les preuves de la présence d'une entité d'ordre supérieur. C'est sans surprise qu'on va la trouver liée au monde souterrain, même si sa nature n'est pas tout à fait dévoilée : on ne sait pas avec certitude s'il s'agit en effet d'un monstre analogue au clown, si c'est bel et bien le fantôme d'une "princesse" martyre... ou bien si le tunnel que finit par (ré)explorer Hugo dissimule quelque aberration de l'espace-temps.

Cette incertitude montre que le véritable propos de l'auteur, c'est avant tout de questionner les raisons pour lesquelles des enfants malheureux en viennent à concevoir des jeux dangereux, ayant tendance à empiéter sur le monde réel. Un enfant possède souvent une imagination débridée, qu'il associe volontiers à une perception floue des limites entre fiction et réalité : c'est ainsi que l'on peut croire au Père Noël puis se souvenir avec gêne, des années après, de l'intensité de cette croyance qui avait alors la même force que le fait. Ici, Hugo et ses amis croient à la Princesse comme d'autres enfants de leur âge croient au Père Noël : pour eux, il est possible de l'invoquer avec des oripeaux et des rites - voire même des sacrifices - afin d'obtenir quelque chose en échange. Ce que les enfants ne savent pas, c'est que la Princesse est une puissance cruelle et trompeuse : conclure un marché avec elle - même au prix d'un sacrifice inouï - donnera souvent des résultats imparfaits ou pas tout à fait désirables. A distance dans le temps, Hugo s'en rend compte lorsqu'il découvre les restes ultimes de ses anciens amis : à lui aussi, quelque chose a été pris - ce qu'il fallait pour que la vengeance qu'il avait réclamée s'accomplisse, même des années plus tard.

Si La Princesse au visage de nuit se conclut en résolvant sa propre énigme, et d'une façon pas trop négative, il n'en reste pas moins que la leçon à en tirer semble floue. Pourquoi Hugo a-t-il survécu, sinon pour avoir l'opportunité de se sauver lui-même ? Pourquoi donc a-t-il oublié les circonstances de sa rencontre avec la Princesse, mis à part pour épargner au lecteur d'avoir à traiter le paradoxe du personnage qui se contemple lui-même à travers le temps ? La théorie de personnages secondaires, dont certains sont hostiles et maléfiques jusqu'à l'outrance, ne suffit pas à donner à ce texte toute la truculence qui aurait facilité le passage de la pilule : il manque en réalité quelques "gueules" et quelques vraies raisons de frissonner en lisant ce roman, dont on ne gardera en réalité que le souvenir d'un divertissement agréable mais sans plus...

Commentaires

Christian a dit…
Belle chronique.
Les thématiques soulevées sont intéressantes même si on garde un fugace souvenir du roman comme tu le dis dans ta conclusion.
Et l’auteur est toujours souriant dans les salons du livre.
C’est noté.
Anudar a dit…
Merci !

C'est vrai, je me dis que ce serait agréable de le croiser dans un salon... J'aurais quelques questions à lui poser je crois !