De l'espace et du temps - Alastair Reynolds

Voici un UHL signé par Alastair Reynolds qui m'a été offert par son éditeur. Que dissimulait son titre en forme d'hommage aux traités philosophiques d'autrefois ? 
Résumé :
John est l'être humain le plus seul de toute l'Histoire : les communications entre la base martienne dont il est le seul survivant et la Terre ont été interrompues... sans garantie que la planète bleue abrite encore quelques habitants qu'aurait épargnés l'arme biologique responsable de la Catastrophe. Alors, la folie rôde... Entre les temps de répétition des tâches quotidiennes, le voici confronté à ce qui est peut-être un dysfonctionnement du matériel de la base : l'apparition, à l'intérieur d'un dispositif de divertissement, d'un énigmatique pianiste. Est-il réel ou bien n'est-il que l'expression du délabrement de son esprit ? Dans tous les cas, le pianiste va conduire John à dépasser de très loin sa condition humaine...
Ce livre commence comme une robinsonnade : un homme seul sur Mars, à ceci près qu'au contraire du film portant ce titre les secours ne sont pas (plus) à 225 millions de kilomètres mais bel et bien inexistants... pour cause d'extinction. L'être humain est un animal social et la solitude absolue rend fou - comme le montre bien, au passage, le premier tiers du Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Face à cette perspective, et face à celle de la dégradation inéluctable de la base, John se rattrape à un espoir fou : celui qui voudrait que des survivants viennent un jour s'enquérir de lui... ce qui implique de tenir la base en bon état et de ne pas sombrer dans l'animalité comme Robinson Crusoé au début de son séjour sur son île. Ainsi se maintient l'humanité chez John : par le travail, par l'impossibilité à penser la solitude (et donc, à chercher des preuves de survie ailleurs) et aussi par la culture... et peu importe si le pianiste n'est qu'un bug informatique ou même une hallucination.

La perspective du roman change lorsque l'espoir flanche et qu'un accident frappe John. Par chance, les secours viennent enfin, de bien plus loin qu'il ne l'aurait imaginé... mais leur nature diffère de ce qu'il attendait... sans compter qu'ils viennent à la fois trop tard et à temps pour le sauver lui, et pour sauver l'humanité aussi. La robinsonnade se change alors en théogonie, puisque John - toujours écrasé par la solitude - en vient à vouloir percer l'énigme de l'Univers. Quelle est la causalité première ? Et une intelligence limitée par les lois de l'Univers peut-elle résoudre toutes celles-ci en un modèle cohérent ? Il n'y a donc pas de Vendredi pour ce Robinson, tout au plus l'horizon sans fin - ou pas - de la méditation et du temps. Cette quête a-t-elle même un but ? Il s'avère que oui, même si l'auteur a l'élégance de ne rien en dévoiler par l'intermédiaire d'une pirouette assez originale. Mais quel sera le destin de John, dans tout ça ? Ou plutôt... quelle option choisira-t-il pour son propre avenir puisque celui-ci lui appartient ?

Au contraire des apparences, la greffe entre les deux natures de ce texte - la robinsonnade et la théogonie - n'est donc pas monstrueuse. Parler de l'espace et du temps, comme le fait Reynolds, revient à parler de la façon dont l'être humain les envisage. Tel est le fil rouge de ce court texte, fascinant dans la démesure qu'il propose au lecteur, et si satisfaisant dans sa conclusion lumineuse... merci.

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