Les Robots de l'Aube

On le sait, le Bon Docteur Asimov a participé à la formation de ma culture SF, peut-être pas avec la même visibilité ici que le Maître Herbert, mais d'une façon tout aussi légitime et appréciée : si Dune fut le roman de mes quatorze ans, Fondation fut celui de mes quinze, et l'exploration de l'immense univers dans lequel ce livre s'inscrit m'a occupé une bonne partie des deux années qui suivirent. Cette chronique tient d'ailleurs lieu de preuve, au passage, que cette exploration n'est pas encore achevée près de vingt ans plus tard : si j'avais lu à l'époque Les Cavernes d'Acier puis Face aux Feux du Soleil, et aussi Les Robots et l'Empire, je ne m'étais pas encore intéressé au roman qui conclut la Trilogie Elijah Bailey. Ce livre étant alors peu disponible en librairie, pour des raisons qui m'échappent, je me suis révélé (je l'avoue) peu disposé à remuer ciel et terre pour mettre la main dessus - y compris à l'époque, je sentais que le Bon Docteur avait peut-être bien laissé derrière lui le meilleur de son oeuvre avant d'entreprendre la soudure entre son Cycle des Robots et celui de Fondation. Isaac Asimov est cependant un auteur cher à ma mémoire et, ayant vu ces derniers jours qu'une édition intégrale contenant ce roman était disponible sur les rayons de ma bibliothèque municipale favorite, je me suis dit qu'il était temps de lui faire confiance à nouveau, histoire de faire moi-même le lien, d'une façon définitive, entre les deux pôles de son Histoire des Temps futurs.
Résumé : 
C'est une gloire encombrante qui entoure Elijah Bailey, deux ans après son retour de Solaria. Promu suite à son succès là-bas, il a eu le déplaisir de voir une adaptation de son aventure diffusée sur hyperonde... Est-ce la raison pour laquelle les autorités terriennes, toujours en position de faiblesse vis-à-vis des mondes spaciens, accèdent à la requête d'Aurore et l'envoient de nouveau pour un séjour loin de son sol natal ? En effet, la première colonie humaine, à présent un monde robotique prospère et très puissant, est empêtrée dans une controverse politique néfaste : le docteur Han Fastolfe, une vieille connaissance de Bailey, voudrait que soit rendu à la Terre son droit de voyage dans l'espace - lui laissant de ce fait la possibilité d'ouvrir de nouveaux mondes... En face de lui, les "globalistes" aurorains s'y opposent et font feu de tout bois pour le discréditer dans l'opinion publique. Aussi, lorsqu'un robot humanoïde nommé Jander est retrouvé désactivé d'une façon qui semble porter la signature de Fastolfe lui-même, le roboticien convoque Bailey sur Aurore, en désespoir de cause. Pour le policier terrien, la mission semble irréalisable, mais il sait aussi ne pas avoir droit à l'erreur : que Fastolfe soit mis à l'écart de la vie politique auroraine, et c'est le destin de la Terre qui sera bouché une fois pour toutes. Saura-t-il trouver la solution de l'énigme ? Par chance, il pourra compter sur des alliés fidèles, prêts à l'aider dans sa quête...
Pas d'histoire d'Elijah Bailey sans R. Daneel Olivaw, le premier robot humanoïde conçu par Fastolfe. La coopération, puis l'amitié entre l'être humain et le robot constituent bel et bien l'intérêt principal de cette petite trilogie qui se déroule vers la fin chronologique du Cycle des Robots. Personnage majeur de ce Cycle et même de l'ensemble de l'Histoire des Temps futurs, Bailey apparaît ici conforme à lui-même : subtil, parfois râleur, et surtout attachant car engoncé dans les non-dits et tabous d'une société terrienne où l'entassement humain a généré une culture pudibonde et agoraphobe. C'est un bonheur, après son premier séjour sur Solaria, de le voir confronté aux grands espaces d'un autre monde étranger. Sauf que cette fois-ci, l'inspecteur terrien est déterminé à redécouvrir le monde extérieur : il a bien compris que c'est là, et non dans la stase douillette mais malsaine des cavernes d'acier que se trouve l'avenir de l'espèce humaine.

En face de lui, la culture auroraine apparaît plus avancée, plus libre, mais tout aussi formaliste. Société robotique peuplée de pluricentenaires, Aurore est en réalité plus orgueilleuse que solide. L'extrême fragilité d'une culture dépendant des robots pour assurer sa propre survie est évoquée à plusieurs reprises : pour Asimov, l'indolence des Aurorains n'est que le pendant de l'impuissance des Terriens. Aux murs d'acier qui enferment les Terriens sous terre, il associe les membres d'acier des robots qui, eux aussi, participent à la décadence de l'espèce humaine. C'est ici que se rejoignent les intentions de deux personnages visionnaires, Bailey d'une part et Fastolfe d'autre part : pour tous deux, la nouvelle frontière ne se trouve pas dans les avancées de la technologie robotique, mais bien plutôt dans les étoiles, au-delà des cinquante mondes spaciens...

Là où les deux précédents volets de la trilogie tapaient juste presque à chaque page, Les Robots de l'Aube ne parvient toutefois pas à convaincre aussi bien. Des évocations quelque peu appuyées de la psychohistoire jusqu'au déroulement linéaire de l'intrigue, on perçoit les faiblesses d'un roman pensé pour faire le "chaînon manquant" qui unirait l'univers des Robots à celui de la Fondation. Alors, bien sûr, l'optimisme et le talent d'écriture du Bon Docteur sont au rendez-vous et l'on ne s'ennuie pas, mais cela ne suffit pas à faire un grand livre. En fin de compte, Les Robots de l'Aube mérite d'être lu par curiosité plus que pour autre chose... et il n'était somme toute pas gênant d'avoir attendu pas loin de vingt ans pour assouvir cette curiosité-là.

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