The Stone Sky

Ce livre conclut la trilogie des Livres de la Terre fracturée de N.K. Jemisin. Après La cinquième Saison et La porte de cristal, il était temps pour l'auteure de révéler si le cauchemar allait prendre fin pour ses personnages...
Résumé : 
En ouvrant la Porte de cristal, Essun a réduit à néant la menace que représentait la communauté rivale de Rennanis, mais il y a eu un prix à payer. Albâtre, son mentor, est mort ; la communauté de Castrima qu'elle a défendue est jetée sur les routes au plus fort de la Saison... et lorsqu'elle même se réveille de son coma, c'est pour découvrir que son bras s'est changé en pierre. Utiliser les artefacts abandonnés par une civilisation éteinte et oubliée depuis des dizaines de milliers d'années coûte un prix au-delà de toute raison - et si elle veut mettre fin à la Saison, il faudra qu'elle utilise à nouveau et en toute connaissance des risques le pouvoir des obélisques. A l'autre bout du continent, sa fille Nassun considère maintenant le Gardien Shaffa comme son père adoptif : elle veut mettre fin à la douleur qui afflige le monde et celui qui veille sur elle... quitte à ouvrir la Porte de cristal à son tour. De l'autre côté du monde, peuplée de mangeurs de pierre, la ville morte nommée Point Central attend - remplie de merveilles et de maléfices - alors que la Lune perdue depuis quarante mille ans revient au périgée... C'est là qu'Essun peut trouver le moyen de rendre sa paix à la Terre en colère - mais c'est aussi là que Nassun peut changer le monde à tout jamais. Marquée par l'ubris d'une civilisation qui a prétendu transformer la vie elle-même en ressource énergétique, l'humanité mérite-t-elle bien d'être sauvée ?
Au terme du précédent volume, beaucoup de questions restaient en suspens : celle de la dimension temporelle à calquer sur l'arrière-plan de cette histoire, celle aussi de cet arrière-plan lui-même - et des relations contrariées entre les différentes factions, qu'elles soient humaines, humanoïdes ou autres - mais aussi et enfin celle de la conclusion qui pouvait le mieux servir cette histoire sombre et pourtant pas glauque puisque pas désespérée. Dès le premier tome, il était question de la finalité du plan d'Albâtre, si absurde en apparence - et si inquiétant compte-tenu du nihilisme du personnage - qu'il aurait semblé aberrant de le voir  en fin de compte privé de toute finalité. Le second tome précisait ce plan : rétablir l'équilibre géologique de la planète en utilisant l'énergie magique des obélisques autrefois construits par la mystérieuse civilisation de Syl Anagist, pour des raisons inconnues. Le troisième tome suit ce schéma : pour bien comprendre toutefois les tenants et aboutissants du plan d'Albâtre - il faudra toutefois se pencher sur le passé lointain de cette planète Terre qui fut, autrefois, découpée en plusieurs continents. La formation du Stillness ne résulte en effet pas de la seule ambition démesurée de Syl Anagist, la civilisation perdue que l'on découvre au gré des souvenirs de Hoa, mais bel et bien de sa nature même et de ses fautes antérieures : les survivants de l'humanité en ont oublié toute mémoire, et pourtant ils portent sur leurs mains le sang d'un génocide au moins.

La construction derrière les Livres de la Terre brisée fascine donc par son ambition, mais aussi par les résonances qu'elle trouve avec notre propre monde. Cette histoire est celle d'une humanité qui a été maudite plus d'une fois et qui a été en fin de compte privée du pouvoir presque infini qu'elle avait acquis ; c'est celle d'une humanité à présent désunie, dont les familles - ceux qui sont doués d'orogénie, ceux qui ne le sont pas, ceux qui sont devenus des mangeurs de pierre... et ceux qui se sont changés en Gardiens - ont oublié leurs liens de parenté ; c'est celle d'une époque si troublée que ses protagonistes en sont souvent tentés d'en venir aux solutions les plus faciles pour apaiser leur souffrance. Et cela dure depuis si longtemps que presque toute mémoire d'un autre monde s'est perdue, l'horreur du présent infusant à la place la conscience collective génération après génération... L'espoir existe pourtant, même si peut-être pas pour les personnages individuels mais plutôt pour l'espèce elle-même : l'adaptabilité humaine s'exprime dans cette histoire presque aussi bien que dans Dune, engendrant là aussi des sur-êtres dont le destin sera de changer celui du monde. L'ingéniosité de l'auteure ne se limite pas à proposer un seul chemin : pour réconcilier toutes les factions - humaines ou non ! - il faut qu'il puisse exister un véritable choix contradictoire, lequel est annoncé par l'opposition suggérée dès le second volume entre Essun et sa fille renégate Nassun. Et il faut aussi que les personnages aient eux-mêmes l'opportunité d'évoluer, pour montrer à l'espèce quel est le chemin à suivre si elle veut tirer parti de sa nouvelle chance... Tout ceci, N.K. Jemisin l'offre avec une énergie et un souffle rares : the Stone Sky représente bel et bien la digne conclusion de cette trilogie. L'avenir seul dira si ce livre décrochera le Prix Hugo - succédant ainsi aux deux autres tomes des Livres de la Terre brisée ! - mais d'ores et déjà, bravo !

Commentaires